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SOS Médecins et l’équité de la procédure devant le Conseil de l’Ordre

Affaire Gautrin et autres (20 mai 1998)

par
Hélène MUSCAT
Allocataire-Moniteur, Université de Paris-Sud


Le contentieux disciplinaire, et notamment celui de l’Ordre des médecins, a longtemps donné lieu à une confrontation des positions de la Cour européenne des droits de l’Homme et du Conseil d’Etat français au sujet de l’application de l’article 6§1. La page a été tournée en 1996 avec notamment l’arrêt Maubleu à l’occasion duquel le Conseil d’Etat a accepté d’appliquer l’article 6 aux procédures disciplinaires dans la mesure où l’avertissement, le blâme comme la suspension portent atteinte à la liberté d’exercer une activité professionnelle et donc à un droit de caractère civil. Depuis la pratique procédurale devant le Conseil de l’Ordre des médecins comme devant de nombreuses juridictions ordinales connaît d’importantes évolutions puisque l’on assiste à un véritable phénomène de normalisation et de mise en compatibilité en cascade du droit français.

L’arrêt Gautrin et autres se situe au coeur même du problème de la mise en oeuvre des principes de l’article 6§1 devant les sections disciplinaires des juridictions ordinales. On passera rapidement sur les faits qui sont révélateurs d’un dysfonctionnement évident du Conseil de l’Ordre des médecins.

M. Gautrin et d’autres membres de l’association SOS Médecins ont fait en 1989 l’objet d’une procédure disciplinaire. Il leur était reproché de faire figurer la mention " SOS Médecins " sur leurs véhicules et leurs ordonnances, ce qui allait à l’encontre des prescriptions du Code de déontologie qui prohibe la publicité.

Le Conseil régional puis le Conseil national de l’Ordre des médecins leur infligèrent des sanctions allant jusqu’à un mois de suspension de l’exercice de la médecine ; cela à l’issue d’une procédure se déroulant à huis clos et alors même que les intéressés n’avaient pas la possibilité de connaître l’identité de leurs juges dont certains se révélèrent partie prenantes au procès puisqu’ils occupaient d’importantes fonctions au sein d’associations concurrentes de SOS médecins qui, pour quelques unes, étaient à l’origine de la procédure disciplinaire puisqu’elles considéraient que les procédés de SOS Médecins leur portaient préjudice.

L’affaire Gautrin pose tout d’abord bien évidemment la question de savoir si le fait pour des médecins d’apposer sur leurs véhicules le nom d’un service d’urgence constitue une mesure publicitaire visant un objectif commercial, ce qui justifie sa prohibition au titre de l’article 23 du Code de déontologie, ou bien s’il poursuit un objectif d’information destiné à faciliter le recours à un tel service et ce faisant répond à une finalité de protection de la santé publique qui semble difficilement pouvoir être sanctionnée. Cette question est toutefois une question de pur droit interne qu’il n’appartenait pas à la Cour européenne des droits de l’Homme de trancher et qui a d’ailleurs fait l’objet de solutions contradictoires devant la juridiction judiciaire et le Conseil d’Etat.

Au regard de la Convention plus précisément, l’affaire Gautrin soulève surtout trois problèmes bien spécifiques qui ne traduisent pas d’évolution de la position de la Cour de Strasbourg mais pourraient affecter l’ordre administratif français : celui du défaut de publicité de l’audience, celui de l’absence d’impartialité devant le Conseil de l’Ordre et enfin celui du rôle du Conseil d’Etat, juge de cassation, dans le contrôle des juridictions ordinales.

Ÿ En ce qui concerne le défaut de publicité de l’audience tout d’abord, défaut de publicité qui était consacré en droit français par le décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié, la Cour a considéré qu’il n’était pas justifié par les circonstances même de l’affaire et a partant conclu à la violation de l’article 6§1.

Ce faisant elle a rendu une solution on ne peut plus classique qui avait été affirmée dans un autre arrêt concernant la France, l’arrêt Diennet. Ainsi la Cour témoigne de la volonté de sanctionner les méconnaissances de l’article 6§1 alors même que la législation applicable aurait évolué puisque la crainte d’une sanction par les organes de Strasbourg avait amené le gouvernement à modifier les règles de procédure applicables au Conseil de l’Ordre des médecins par le décret du 5 février 1993 qui dispose que l’audience est publique lorsque la section se prononce en matière disciplinaire sauf dérogations justifiées par l’intérêt de l’Ordre public, le respect de la vie privée ou le secret médical.

En même temps qu’elle condamne la France dans l’arrêt Gautrin, la Cour semble affirmer le principe de la compatibilité du droit français tel qu’il résulte du décret de 1993 avec l’article 6§1, sous réserve cependant que les motifs d’atteinte au principe de publicité soient justifiés. Pourtant on pourrait voir poindre à travers cette réserve un nouvel élément d’incompatibilité du droit français avec les exigences européennes dans la mesure où le Conseil de l’Ordre interprète largement de telles dérogations. Tel est, en raison de leur caractère administratif, le cas des procédures de suspension temporaire résultant d’un état pathologique rendant dangereux l’exercice de la médecine ; et cela alors qu’il est avéré qu’elles constituent de véritable contestations et que la suspension temporaire porte atteinte au droit d’exercer une activité professionnelle qui est un droit de caractère civil et dont le contentieux devrait être soumis aux principes de l’article 6§1.

On le voit donc, la question du respect du principe de publicité devant le Conseil de l’Ordre des médecins n’est pas encore entièrement résolue. Elle l’est d’autant moins que le Conseil d’Etat considère que la décision du président de la section disciplinaire d’interdire au public les salles d’audiences est un acte préparatoire de la décision juridictionnelle. Cette solution, qui est tout à fait conforme à la jurisprudence sur les actes préparatoires aux jugements, aboutit à priver de possibilité de contester le défaut de publicité devant le Conseil d’Etat si ce moyen n’a pas auparavant été avancé devant la juridiction ordinale, alors qu’il paraît peu probable que la formation disciplinaire remette en cause le huis clos ordonné par son président. Le droit français ne semble sans doute pas sur ce point contraire à l’article 6, mais cette solution est peu à même d’assurer la mise en oeuvre effective du principe de publicité.

Ÿ Dans l’affaire Gautrin, les requérants faisaient également valoir le défaut d’impartialité objective dans la mesure où certains membres de la formation disciplinaire au niveau régional comme au niveau national étaient directement et intimement liés à des concurrents de SOS-Médecins (trois sur onze devant le Conseil régional de l’Ordre, trois sur sept devant le Conseil national). Ces personnes avaient siégé alors même que les requérants, ignorant jusqu’à l’issue de la procédure l’identité des membres de la section disciplinaire, n’avaient pu obtenir leur récusation, pas plus que le renvoi pour suspicion légitime de l’ensemble de la formation ; une telle procédure n’étant pas applicable au Conseil de l’Ordre des médecins. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si les apparences permettaient de conclure au possible défaut d’impartialité de certains membres de la formation juridictionnelle.

Au regard de l’objet du litige qui dépassait le strict cadre du respect du Code de déontologie et s’inscrivait dans le contexte d’une concurrence entre " SOS Médecins " et d’autres associations, on pouvait estimer que le fait que certains membres des conseils national et régional aient présenté un intérêt commun contraire à celui des requérants était de nature à faire naître chez les requérants des appréhensions justifiées relatives à l’impartialité. Aussi la Cour a-t-elle conclu, là encore classiquement, à une nouvelle violation de l’article 6§1 et a ainsi condamné certaines pratiques du Conseil de l’Ordre des médecins français contraires à la logique d’Etat de droit comme à l’idée de justice en confortant l’idée selon laquelle toute justice, quand bien même elle serait interne à une profession, doit répondre aux mêmes impératifs de protection des particuliers.

Cette décision confirme que si en matière civile la théorie de l’apparence donne assez rarement lieu à des condamnations au titre de l’impartialité lorsque les membres de la formation de jugement ont eu à connaître de l’affaire précédemment à un quelconque titre, au cours d’une première instance puis en appel par exemple, il en va différemment lorsqu’ils sont à la fois juges et liés à une partie.

Mais on peut se demander ce qu’il en aurait été si l’affaire avait été portée devant le Conseil d’Etat, juge de cassation ? Il est vrai que sa jurisprudence en matière de contrôle de l’impartialité des juridictions ordinales a longtemps été assez souple et plus subjective que celle qui a longtemps été développée par la Cour de Strasbourg. Toutefois, deux récents arrêts concernant le contentieux des assurances sociales devant le Conseil de l’Ordre lui ont permis d’affirmer le nécessaire respect du principe d’impartialité prévu à l’article 6. En outre, dès 1960, à l’occasion d’une affaire Colombel dont les faits sont similaires à ceux de l’espèce, la Haute Assemblée avait considéré que la composition de la formation de jugement était régulière dès lors que ses membres accusés d’impartialité n’occupaient pas de fonctions au sein du bureau ou du Conseil d’administration des associations à l’origine du recours, ce qui implique, comme cela était le cas dans l’affaire Gautrin, qu’a contrario ladite composition aurait été irrégulière. On peut donc croire que si le Conseil d’Etat avait été saisi dans cette affaire, il aurait annulé la décision du Conseil de l’Ordre et, sur ce point, la saisine de la Cour de Strasbourg ne semble pas avoir été nécessaire.

Ÿ Le dernier élément à tirer de l’arrêt Gautrin, mais il ne sera qu’évoqué, est qu’il donne une nouvelle fois l’occasion de s’interroger sur le rôle du Conseil d’Etat dans le contrôle des juridictions ordinales.

En effet, après avoir été mise en cause par la juridiction de Strasbourg en raison de son contrôle jugé lacunaire sur les sanctions prononcées par le Conseil de l’Ordre des médecins qui empêche de l’assimiler à un organe judiciaire de pleine juridiction, la Haute assemblée voit dans cette affaire son rôle de juge de cassation contesté en ce qu’elle ne juge au fond les recours contre les décisions disciplinaires du Conseil de l’Ordre des médecins qu’à l’occasion du second pourvoi en cassation formé dans une même affaire, ce qui revient à renvoyer une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la section disciplinaire du Conseil de l’Ordre devant cette même section, qui ne statue pas nécessairement dans une formation différente. Ce procédé, qui ne joue bien évidemment pas en faveur de l’efficacité de la procédure juridictionnelle et de l’exigence d’un délai raisonnable, s’il n’est pas de nature à justifier une sanction sur le fondement du défaut d’impartialité objective, a amené la Cour à considérer que le pourvoi en cassation ne constituait pas, pour la solution du litige, un recours adéquat.

Cependant même si le droit conventionnel n’a peut-être pas fini d’impliquer des évolutions de la procédure applicable en matière disciplinaire, ses exigences sont mieux prises en compte et ces dernières années ont permis surtout d’assister à une importante évolution de la mentalité du juge administratif qui souhaite, c’est ce qui résulte de conclusions rendues par le commissaire du gouvernement R. Schwartz, entamer un débat avec la Cour au sujet de l’interprétation de l’article 6. Le juge administratif témoigne ainsi de sa volonté de participer activement à l’élaboration de la jurisprudence européenne et, le cas échéant, de la faire évoluer afin, et c’est un tournant dans sa conception de l’intervention européenne au niveau interne, que l’influence entre le droit français et le droit conventionnel en matière d’équité de la procédure ne soit plus à sens unique mais à double sens.

 

Débat

Paul Mahoney

Nous ne sommes heureusement pas dans la situation de Cendrillon pour qui l’obligation de respecter l’heure est impérative !

Paul Tavernier

J’ai été très heureux de la dernière remarque qu’Hélène Muscat a faite concernant la collaboration entre les juridictions nationales et la juridiction européenne. Je voudrais citer un autre cas qu’on n’a pas évoqué parce qu’il n’y avait pas d’affaires portant sur cette question. Il y a eu un récent arrêt du Conseil d’Etat concernant un problème d’urbanisme et l’article 1er du Protocole n° 1. L’arrêt est tout à fait favorable à la jurisprudence de Strasbourg. Il est intéressant de noter qu’il a été rendu sur les conclusions de Ronny Abraham qui depuis a été appelé à d’autres fonctions et sur le rapport de M. Costa.

Dominique Allix

Je voudrais revenir sur le permis à points. Il y a effectivement une petite ouverture dans la mesure où vous constatez que la Cour européenne laisse entendre que s’il y avait un retrait automatique du permis de conduire, à ce moment là notre système ne pourrait pas fonctionner. De toute façon, au bout d’un retrait conséquent (12 points), la personne sera automatiquement privée de son permis de conduire. Donc la législation française ne résiste pas à l’examen... Je crois aussi que c’est une décision consternante parce que finalement la Cour s’est fait " avoir " : elle s’est laissée enfermer dans un piège. Elle a attrait à la matière pénale toutes les affaires de police de la circulation et elle ne sait plus comment en sortir. La Cour a finalement retenu une conception de la proportionnalité qui est très étroite. La proportionnalité exige qu’un juge puisse contrôler l’ampleur de la pénalité. Or ce n’est absolument pas le cas. La proportionnalité est purement fictive, légale, abstraite : circuler à 170 km/h sur une nationale c’est autre chose que circuler à la même vitesse sur une autoroute. La loi certes fait des différences sur les points à retirer, mais ce n’est pas satisfaisant. En réalité, on rejoint une observation plus générale. A l’heure actuelle, au moins dans une certaine doctrine, on confond l’automatisme de la répression et la prévention. Je ne suis pas certain que ce soit le meilleur remède.

Vous avez dû avoir peur quand vous avez vu que la question relevait de la matière pénale... Comment en sortir ? En se reniant ? C’est ce qu’a fait la Cour finalement.

Antoine Buchet

C’est vrai que l’essentiel de l’argumentation du gouvernement devant la Cour sur l’affaire Malige concernait l’applicabilité de l’article 6. Nous servant des précédents arrêts de la Cour, nous pensions la convaincre qu’une mesure qui ne consiste même pas à retirer le permis, mais seulement à amputer son capital d’un certain nombre de points, était véritablement une mesure de prévention, c’est-à-dire une mesure visant à prévenir la personne que si elle continue, elle va finir par perdre tous ses points, et partant par perdre son permis de conduire. C’est une vertu préventive sur laquelle le gouvernement français a tenu à insister devant la Cour, et il n’a pas emporté l’adhésion de la Cour. C’est vrai que de ce point de vue, une fois passé le cap de l’applicabilité de l’article 6, on pouvait effectivement craindre ou espérer suivant la place d’où on parlait, qu’il y ait un constat de violation. Il est vrai que la tolérance de la cour à l’égard d’une sanction, qu’elle a qualifié de sanction automatique, a de quoi surprendre les lecteurs d’autres arrêts rendus par la Cour en matière pénale. S’agissant de l’efficacité du système, il faut rappeler les chiffres tirés du mémoire qu’avait présenté le gouvernement français. Depuis l’instauration du permis à points en 1989, on a une diminution extrêmement sensible du nombre de décès sur la route. Il est certain que le permis à points a pour objectif de développer un certain civisme. On peut, ceci dit, interpréter l’arrêt comme un arrêt qui pousse un peu à l’excès la force attractive de la matière pénale. Si le retrait de points relève de la matière pénale, on ne voit pas tellement ce qui n’en relève pas.

Par ailleurs, ce qui m’a toujours beaucoup surpris à la lecture du rapport de la Commission et dans celle de l’arrêt, c’est cette reconnaissance de l’importance du droit de conduire dans la société actuelle. Je sais que la Convention est un instrument à interpréter à la lumière de l’évolution de la société (c’est le caractère vivant de la Convention rappelé dans plusieurs arrêts), mais cela justifie-t-il que l’on reconnaisse le droit de conduire comme un droit fondamental de la personne humaine auquel il ne faut pas porter atteinte ? Et si on lui porte atteinte, cela relève-t-il vraiment de la matière pénale ? Il est peut-être un peu excessif d’aller dans ce sens. J’ai été un peu surpris de l’insistance de la Commission et de la Cour sur cet aspect des choses.

Catherine Teitgen-Colly

Sur le rapport de Mme Mendel-Riche, je voudrais faire quelques remarques. Vous avez évoqué l’affaire HLR c.France. Vous avez dit que peut-être la nouvelle affaire BB réduit la portée de l’affaire HLR c.France. A mon sens, on n’est pas du tout dans le même cas de figure, même s’il s’agit de trafiquants de drogue dans les deux cas. Dans le premier cas, l’on est un présence d’un ressortissant colombien éprouvant les plus grands risques vis-à-vis de la mafia en cas de renvoi dans son pays. La Cour européenne fait alors une application extensive de l’article 3 de la Convention en décidant que les traitements inhumains et dégradants pourront être le fait de personnes ou groupes privés, et non exclusivement d’agents étatiques. Dans le second cas, la situation est différente, l’auteur du recours, ressortissant zaïrois, n’éprouvant pas de risques par rapport à des personnes privées ; on ne peut donc mettre en parallèle les affaires HLR et BB du point de vue de l’agent de persécution.

Françoise Mendel-Riche

Je n’avais pas imaginé de lien de causalité, j’aurais dû faire une transition plus nette entre les deux parce que j’ai parlé d’HLR en tant qu’introduction en la matière, sans lien de causalité avec ce qui s’est passé effectivement dans l’affaire BB et je regrette d’avoir été trop rapide pour ne pas avoir dit un seul mot de l’affaire Dalia.

La Cour et la Commission n’ont pas retenu la violation de l’article 8 dans le cas de l’affaire Dalia, algérienne de 38 ans qui avait un enfant né en 1990. Parce qu’elle avait été condamnée à une interdiction du territoire français en 1985, ils ont considéré qu’elle s’était maintenue sur le territoire et avait tissé ce lien de vie privée, de vie familiale (article 8). Si j’en avait parlé, je vous aurais dit que c’était le contraire de l’affaire BB, que c’était hélas, une image arrêtée. Les organes de Strasbourg trouvaient qu’il fallait continuer à examiner la situation de Mme Dalia avec les lunettes de 1985 et en considérant la proportionnalité s’agissant d’un trafic de drogues. C’est une affaire assez triste car cette personne reste en position instable sur le territoire français puisqu’elle ne peut pas être régularisée, ne peut pas retourner en Algérie avec un enfant français. C’est une affaire où l’humanitaire n’a pas compté. La balance a pesé très fort en faveur de l’ordre public, de l’ingérence et de la nécessité impérieuse et le côté vie privée, vie familiale n’a pas été retenu.

Catherine Teitgen-Colly

Effectivement, il y a une différence dans l’interprétation aujourd’hui de l’article 3 et de l’article 8. L’article 3 est très porteur et conduit à une restriction des droits des Etats, même en matière de maîtrise de l’immigration, puisque des considérations humanitaires peuvent limiter les pouvoirs de l’Etat quant à la reconduite à la frontière des étrangers, alors que l’article 8 est de plus en plus lu de façon stricte.

Françoise Mendel-Riche

La porte 3 s’ouvre, la 8 se referme... Mais les deux requérants dont j’ai traité le cas avaient posé des recours aux articles 3 et 8 à la fois, dans des circonstances différentes. Dans l’affaire Dalia, c’était au 8, dans BB c’était au 3, à l’exclusion de l’autre article. C’est intéressant de voir que les requérants essaient de mettre en cause plusieurs types d’argumentation.

Catherine Teitgen-Colly

J’avais une seconde question à poser sur l’affaire Malige concernant la qualification de ce retrait de points.

N’aurait-on pu imaginer de faire entrer le retrait des points dans la matière pénale à partir du retrait du 12ème point, car c’est lui qui est vraiment sanctionnateur ? Le problème a-t-il été évoqué ? Est-ce qu’on y a pensé, ou pas du tout ? En effet, la perte de chaque point en soi n’est pas pénalisante, mais constitue un avertissement, une mesure en quelque sorte préventive et dissuasive, mais pas véritablement sanctionnatrice, alors qu’au 12ème point, c’est le couperet, le permis est perdu...

La décision prise par la Cour européenne qui conclut à la conventionnalité de la sanction du retrait de points est en vérité sujette à caution, en ce qu’elle donne un brevet de conventionnalité à ce type de sanction automatique en se fondant sur une proportionnalité, davantage présupposée que vérifiée, de cette sanction à la gravité de l’infraction. Or précisément cette proportionnalité n’est pas certaine. Certes le Conseil constitutionnel s’assure de la proportionnalité entre sanction et infraction lorsqu’il en est saisi, mais d’une part il n’est pas toujours saisi - tel est le cas notamment des lois anciennes, fiscales en particulier qui sont nombreuses à avoir institué des sanctions automatiques ; d’autre part, le Conseil, n’entendant pas se substituer au législateur, ne censure que les disproportions manifestes et non toute disproportion entre sanction et infraction.

Dominique Allix

Il n’est pas nécessaire de se référer au contrôle de constitutionnalité. Ainsi en matière fiscale, pour le non-paiement de la vignette automobile, la Cour de cassation a jugé que ces pénalités qui résultaient de la seule constatation matérielle par l’administration du non-paiement de la taxe ne permettaient pas une quelconque appréciation du comportement, et qu’en conséquence les textes étaient contraires à l’article 6. Il y a là un principe clairement posé.

Antoine Buchet

Ce qui est intéressant dans l’arrêt, c’est qu’on aurait pu utiliser les arguments développés par la Cour pour se satisfaire d’une non-violation de l’article 6 par. 1 pour conclure à la non-application. Le fait qu’il n’y ait pas de disparition immédiate de tous les points, le fait que l’on permette à la personne de reconstituer son capital en adaptant son comportement ou en ne commettant plus d’infractions, en suivant une formation spécialement prévue par les textes en vigueur, tous ces arguments plaidaient pour une non-application de l’article 6. On a le sentiment que la Cour n’a pas voulu se priver du contrôle que lui ouvre l’article 6 sur ce contentieux de la circulation routière et du permis à points, mais que ce faisant elle s’est servie des arguments que le gouvernement avait présentés à l’appui de son mémoire en défense pour la non-application de l’article pour reconnaître une non-violation. C’est un raisonnement assez alambiqué, qui effectivement juridiquement et intellectuellement n’est pas très satisfaisant, même si le résultat satisfait les autorités qui étaient venues en nombre puisqu’il y avait sept représentants du gouvernement à l’audience (affaires étrangères, justice, intérieur, sécurité routière, etc.) contre l’avocat unique, extrêmement actif. Il y a d’ailleurs d’autres affaires en cours sur le permis. Il y a eu aussi une tentative d’attaque assez intéressante qui consistait à dire que la suspension administrative décidée par le préfet suivie d’une amende était une violation de la règle ne bis in idem. Mais cette requête n’a pas prospéré (non-épuisement des voies de recours internes). L’application de cette règle est actuellement soulevée dans l’affaire de cumul entre sanctions fiscales et sanctions pénales.

Catherine Teitgen-Colly

Quant à l’intervention d’Hélène Muscat, on notera que le Conseil d’Etat est plus prompt à tirer les conséquences de la jurisprudence Procola en matière d’impartialité du juge pour d’autres juridictions que la sienne, alors même que cette jurisprudence de la Cour européenne concernait une juridiction homologue à la sienne, le Conseil d’Etat luxembourgeois.

Hélène Muscat

Il est vrai que depuis 1996 on assiste à un véritable flux d’arrêts du Conseil d’Etat sur différents points concernant diverses juridictions ordinales. Certains visent l’ordre des chirurgiens-dentistes ou la Cour de discipline budgétaire et financière puisque le Conseil d’Etat a affirmé que la procédure applicable devant la Cour de discipline budgétaire et financière était une procédure qui concerne la matière pénale et que de ce fait elle doit être publique. Il y a donc une multiplication des décisions du Conseil d’Etat concernant les procédures devant les juridictions ordinales, tant au regard de l’exigence de publicité que de celle d’impartialité.

En ce qui concerne le contentieux des assurances sociales, le fait que devant la section des assurances sociales une même personne, médecin-conseil, puisse être à la fois à l’origine de la plainte et juge, entraîne la condamnation du défaut d’impartialité par le Conseil d’Etat. Le juge administratif s’inscrit alors strictement dans le cadre de l’affaire Procola. On assiste donc effectivement à une prise en compte par le Conseil d’Etat de la jurisprudence Procola dont il impose le respect aux autres juridictions sans, à ce jour, s’y être explicitement soumis.

Paul Mahoney

Il m’appartient de clore les débats. Pour un pays comme la France, les arrêts de la Cour européenne concernent, par définition, des cas limites. Les affaires Bertrand, Bernard, Omar, Guérin, Malige, Gautrin, Soumaré, Lambert, abordent des questions techniques de la procédure pénale ou civile, et je pourrais dire que les critiques émises aujourd’hui étaient aussi techniques (par exemple la manière dont la Cour de Strasbourg motive ses arrêts).

L’affaire Lehideux et Isorni tombe dans une autre catégorie. On ne peut pas nier le poids des arguments militant en faveur d’un constat de non-violation. Il ne s’agit pas d’une bonne ou d’une mauvaise motivation, à mon avis, mais plutôt d’une décision de politique judiciaire tendant à promouvoir une certaine conception du rôle de la liberté d’expression dans une société démocratique européenne moderne.

Et peut-être que l’avantage d’avoir cette Cour à Strasbourg est précisément de dénationaliser et de dépolitiser de telles controverses. Mais ce qui est important en fin de compte, c’est la volonté de nos gouvernements d’accepter même les " mauvais arrêts ", ceux qui contiennent une " motivation légère ", pour reprendre une expression utilisée au cours des débats, dans l’intérêt de cette " garantie collective " des droits de l’Homme instaurée par la Convention. La santé de nos démocraties est attestée par cette volonté : pour la France, la détermination d’ouvrir les portes et les fenêtres de la maison France au regard des voisins.

La participation aujourd’hui d’avocats, de magistrats, de fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Affaires étrangères, d’étudiants, démontre le caractère collectif de l’engagement français en faveur de la Convention européenne des Droits de l’Homme. J’ai remarqué que les critiques étaient plus ou moins équitablement réparties entre les diverses catégories présentes aujourd’hui, ce qui démontre sans doute le positionnement équilibré de la Cour de Strasbourg. On ne plaît à personne et donc on est indépendant.

Je dois avouer aussi que j’ai dû résister à la tentation d’intervenir davantage dans les débats, mais vous étiez trop nombreux et les minutes étaient comptées. Voilà bien la preuve de la réussite du colloque organisé aujourd’hui.

Au nom de tous, je voudrais d’abord remercier les intervenants, les orateurs et bien sûr les organisateurs et leur demander de renouveler l’expérience dès l’année prochaine avec la jurisprudence de la nouvelle Cour. Il existe sur Internet une base de données à laquelle l’accès est gratuit et qui contient tous les arrêts depuis le début, avec un index et un outil de recherche.

Paul Tavernier

Je vous remercie également M. Mahoney. Je pense qu’il est très important que le courant passe dans les deux sens, des juridictions nationales vers Strasbourg, et inversement.

Je voudrais aussi remercier ceux qui se sont occupés du bon déroulement matériel du colloque.

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