INTRODUCTION
La Vème République semble être le régime qui a
consacré le plus de place aux droits et libertés. Avec la mise en place d'un
Conseil constitutionnel et de son contrôle de constitutionnalité, la suprématie
de la Constitution qui contient des droits et libertés a été imposée au
Législateur. Le Conseil constitutionnel a, par la suite, étendu les droits et
libertés constitutionnelles en décidant que le Préambule de la Constitution et
son contenu (la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789,
les principes contenus dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
à savoir les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et
les principes politiques économiques et sociaux particulièrement nécessaires à
notre temps mais aussi la Charte de l'environnement de 2004)
avait valeur constitutionnelle.
La protection des droits et libertés en droit
interne français a aussi été renforcée par la mise en place du défenseur des
droits et libertés mais également et surtout par l'introduction de la question
prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC). L’objet de cet article
portera sur cette nouvelle « technique de protection des droits et libertés
constitutionnelles »,
comme l’appelle Pierre Bon, qu’est la QPC et sur sa complémentarité avec le
contrôle de conventionnalité au sens large. Cet article abordera les différences
et similitudes entre les deux mécanismes de protection des droits et libertés
que sont les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité (I) ainsi
que le dialogue des juges comme condition nécessaire à l’acceptation du système
de la QPC (II). Il convient toutefois, avant d’aborder l’objet proprement dit de
cette étude, de présenter le mécanisme de la QPC.
C’est la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de
modernisation des institutions de la Vème République qui a introduit la QPC.
Plusieurs textes
sont venus encadrer et préciser ce nouveau recours comme la loi organique du 10
décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution qui
a fait l'objet elle-même d'un contrôle de constitutionnalité a priori et
qui a été reconnue constitutionnelle par le Conseil constitutionnel.
En vertu de cette loi, la QPC est entrée en vigueur le 1er mars 2010.
Cette « question » n’était pourtant pas nouvelle, la
possibilité pour un citoyen de soulever une exception d'inconstitutionnalité
avait déjà été évoquée sous le septennat de François Mitterrand à l'occasion du
bicentenaire de la révolution française en 1989, puis en 1993 dans le rapport du
comité consultatif pour la révision de la Constitution présidée par le doyen
Vedel.
La question prioritaire de constitutionnalité a donc
été introduite dans l'ordre juridique interne français récemment. Il est vrai
que par le seul contrôle de constitutionnalité a priori, abstrait,
centralisé, opéré par le Conseil constitutionnel, la France semblait accuser un
certain retard comparé à d'autres pays comme les États-Unis, l'Allemagne ou
encore l'Espagne. En 2007, le Président de la République, dans une lettre
adressée à M. Edouard Balladur, lequel présidait le Comité de réflexion et de
proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème
République, regrettait que « la France soit le seul grand pays démocratique dans
lequel les citoyens n'ont pas accès à la justice constitutionnelle, et que
certaines normes internationales aient plus de poids et d'influence sur notre
droit que nos principes constitutionnels ».
Avec le contrôle de
constitutionnalité a priori, puis la QPC qui est un contrôle de
constitutionnalité a posteriori, la suprématie de la Constitution dans
l'ordre juridique interne français est assurée, du moins vis-à-vis de la loi…,
mais surtout la QPC fait en sorte que la Constitution devienne plus proche des
citoyens. Dans son discours du 1er mars 2010, date de l'entrée en vigueur de
l'article 61-1 de la Constitution instaurant la QPC, le Président de la
République estimait que :
« [l]a Constitution n'intéresse pas que les rapports des
pouvoirs publics. La Constitution, c'est aussi le socle des valeurs
fondamentales dans lesquelles chacun peut et doit se reconnaître ; […]. La
remettre au cœur des procédures juridictionnelles, c'est contribuer à la
Refondation du pacte républicain ».
En effet, la QPC est un contrôle de
constitutionnalité a posteriori, concret, mais surtout une voie de
recours ouverte à tous les justiciables. En effet, seul un justiciable peut
soulever l'exception d'inconstitutionnalité d'une loi, aucun juge ne peut
soulever d’office un moyen d’inconstitutionnalité
ni d’ailleurs se prononcer sur la constitutionnalité de la loi applicable au
litige qui reste la prérogative du Conseil constitutionnel. La QPC n’est pas un
contrôle de constitutionnalité diffus. Les juges administratif et judiciaire
doivent néanmoins vérifier si la QPC remplit toutes les conditions pour être
transmises au Conseil. Ils sont en quelque sorte juges de la recevabilité des
QPC et en cela voient leur rôle devenir plus important.
L’article 61-1 de la Constitution dispose qu’une QPC
peut être soulevée, dans le cadre d’un litige, contre une disposition
législative qui porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution
garantit. Donc la QPC est un contrôle concret (qui se fait dans le cadre d’un
procès), a posteriori (sur une disposition législative déjà entrée en
vigueur) qui concerne les droits et libertés constitutionnels.
Ces trois conditions sont cumulatives et ne sont pas exhaustives. En effet, la
QPC doit avoir un caractère sérieux ou être nouvelle et il ne faut pas que la
disposition législative litigieuse ait déjà été déclarée conforme à la
Constitution par le Conseil constitutionnel. Le changement de circonstances est
toutefois un tempérament à cette dernière condition. L'examen de la QPC par les
juges est encadré dans un délai strict.