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Neuvième Session d'information (arrêts rendus en 2002, Cahiers du CREDHO n° 9)

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CREDHO – PARIS SUD

Centre de recherches et d’études sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire 

 

NEUVIEME SESSION D’INFORMATION

Faculté Jean Monnet à Sceaux

27 février 2003

 

LA FRANCE ET LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

Les arrêts rendus en 2002

 

 

 

     Placée sous la présidence de Mme Renée Koering-Joulin, Conseiller à la Cour de cassation, et de M. Marc Fischbach, Juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, la neuvième session d’information du CREDHO relative aux arrêts rendus par la Cour en 2002, s’est déroulée à la Faculté Jean Monnet, le 27 février 2003.

 

     Précédant l’ouverture officielle du colloque, M. Charbonneau, vice-président de l’Université de Paris XI (Paris Sud) et M. Faugère, Doyen de la Faculté Jean Monnet, ont tenu à saluer la tenue périodique de ce colloque regroupant des personnalités d’horizons variés (professeurs, avocats, magistrats, jeunes chercheurs) travaillant sur un même thème celui des droits de l’Homme, thème central pour la Faculté Jean Monnet. Ils ont remercié M. le Professeur Paul Tavernier, directeur du CREDHO, qui organise cette rencontre annuelle avec le concours des équipes administratives et scientifiques.

 

     Avant de céder la parole au premier intervenant, M. le Professeur Tavernier a tenu à saluer la présence de Mme Renée Koering-Joulin et adresser ses vifs remerciements à M. Marc Fischbach pour sa participation au colloque. Il a remercié les personnes qui ont contribué à la préparation de cette journée.

 

                La première intervention est consacrée à la présentation de la commission de réexamen des décisions pénales instituée par la loi du 15 juin 2000. Mme Koering-Joulin met en exergue les difficultés auxquelles la commission de réexamen a été confrontée depuis sa création. La Commission de réexamen est composée de magistrats dont le statut assure l’indépendance ; l’intervenante parle aussi d’impartialité objective. Voie de recours extraordinaire, le réexamen est enfermé dans d’étroites conditions de forme et de fond. La décision doit avoir été prononcée par une juridiction pénale, y compris la Cour de cassation. Le réexamen n’est possible qu’au profit d’une personne reconnue coupable d’une infraction. Le droit au réexamen ne peut être accordé que sur le fondement d’une violation constatée par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme. Un lien de causalité, relevé par la Cour EDH, entre la condamnation et la violation est nécessaire ; que la condamnation ait été prononcée en violation de la Convention EDH, ou que ce lien de causalité résulte de la décision de la Cour. Quant aux conditions de fond, le législateur n’a pas entendu limiter le réexamen à l’existence d’une violation de l’article 6 de la Convention EDH ; il peut s’agir de la violation d’un autre principe. Concernant l’appréciation de la nature et la gravité de la violation constatée, il n’existe pas de hiérarchie entre les droits garantis. Cependant, dans les faits, il y a des violations si graves que seul le réexamen permet d’y remédier. De même, toute violation n’ouvre pas droit au réexamen. La violation constatée doit, en outre, entraîner des conséquences dommageables auxquelles la somme allouée au titre de la "satisfaction équitable" ne peut mettre un terme, le seul remède étant le réexamen. Après avoir statué sur la recevabilité du réexamen, la Commission de réexamen peut décider de suspendre l’exécution de la peine. Elle renvoie l’affaire pour un nouveau procès devant une juridiction de même ordre et de même degré que celle qui a rendu la décision en violation de la Convention. En cas de constat de double violation, l’affaire est renvoyée devant la juridiction du fond et non devant la Cour de cassation. Mme Koering-Joulin souligne que la Cour européenne, saisie de la conformité de la procédure de réexamen, va développer un contentieux nouveau qui n’est pas prêt de se tarir.

 

     Suit l’intervention de M. Marc Fischbach qui analyse la nature des relations entre la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (concurrence ou complémentarité). Après avoir présenté l’avancée des travaux de la Convention de Bruxelles chargée de rédiger le texte de la future Constitution européenne, l’intervenant dresse un état des lieux et constate qu’à l’heure actuelle, la protection internationale des droits fondamentaux est assurée essentiellement par la Convention européenne et par le droit de l’Union européenne. En l’absence de cohérence et de sécurité juridiques entre les deux institutions, l’Europe n’aurait plus de crédibilité pour militer au plan international pour l’universalisme des droits fondamentaux. Ce risque existe. D’autant que les juges communautaires ne sont pas liés par la Convention européenne bien que celle-ci s’impose aux Etats membres et qu’ils s’y réfèrent parfois. Devant la Cour européenne, les Etats membres sont responsables au titre des droits de l’Homme, des effets du droit communautaire. Le risque de divergence jurisprudentielle existe et va s’amplifier du fait de la coexistence au niveau européen de deux instruments distincts. La Charte européenne constitue le prolongement de la Convention en droit communautaire ; la CJCE devrait jouer un rôle moteur et développer une jurisprudence qui pourrait influer sur les législations nationales ; d’autant que la Charte interprétée dans le cadre de l’UE ne manquera pas d’engendrer une dynamique pour les droits de l’Homme en Europe (ouverture plus large du droit de recours individuel). Ainsi, l’adhésion de l’UE à la Convention EDH résoudrait bien des problèmes. Au stade actuel des discussions, il existe un courant très fort en faveur de cette adhésion. Ni l’autonomie du droit communautaire, ni le statut de la CJCE ne constituent un obstacle. La Cour européenne, chargée de veiller au respect par l’UE des droits de l’Homme, ne serait pas hiérarchiquement supérieure à la CJCE. Les questions juridiques et techniques qui pourraient peser sur l’éventuelle adhésion de l’UE à la CEDH ne sont pas insurmontables d’autant que l’adhésion ne va pas modifier la répartition des compétences au sein de l’UE.

 

     Ces deux premières communications donnent lieu à un riche débat axé principalement sur la coexistence, quant à la protection des droits de l’Homme, de deux Cours européennes. M. Fischbach insiste sur le fait qu’il n’y a aucune sensibilité de la part de la CJCE sur la question de la hiérarchisation entre les deux Cours. La participation d’un juge représentant l’UE au sien de la Cour EDH, l’ouverture et l’épuisement des voies de recours ont suscité une vive discussion entre les intervenants et l’auditoire. La Charte européenne des droits fondamentaux offre, à plusieurs égards, une protection plus étendue que la Convention EDH. La question relative à la protection des droits sociaux et économiques a notamment été soulevée. M. Fischbach précise que la Cour de Strasbourg, sans toutefois aller jusqu’à appliquer la Charte, n’hésite pas à se prononcer sur les droits économiques et sociaux, bien que ceux-ci ne soient pas spécifiquement visés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Les enjeux des relations entre Cour EDH et CJCE sont considérables pour la sécurité et la cohérence du système de protection des droits de l’Homme.

 

     La seconde partie de la matinée est consacrée au thème de la liberté d’expression. C’est l’occasion pour Maître Thierry Massis, avocat à la Cour, d’évoquer l’arrêt Colombani et autres du 25 juin 2002, afférent à l’offense à chef d’Etat étranger et au sujet sensible de la liberté d’expression du journaliste. Suite à un article du journal Le Monde, intitulé “ Le Maroc, premier exportateur mondial de haschich ”, sous-titré “Un rapport confidentiel met en cause l’entourage du roi Hassan II”, les requérants, poursuivis sur le fondement de l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 pour offense proférée à l’encontre d’un chef d’Etat étranger, furent relaxés par le tribunal correctionnel considérant que le journaliste avait agi de bonne foi en poursuivant un but légitime et citant un rapport dont le sérieux n’était pas contesté. La Cour d’appel, excluant la bonne foi du journaliste, estima que la volonté d’attirer l’attention du public sur la responsabilité de l’entourage royal et la tolérance du roi, était empreinte d’intention malveillante. Elle reprocha notamment au journaliste de ne pas avoir vérifié la véracité et l’actualité des faits qu’il rapportait. Réaffirmant la prééminence du principe de la liberté d’expression dans une société démocratique, la Cour EDH, s’appuyant sur le jugement du tribunal correctionnel, constate que la condamnation des requérants s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression. La Cour relève deux points centraux que sont le devoir et la responsabilité des journalistes. Or, le rapport pouvait légitimement être considéré comme crédible, sans avoir à vérifier l’exactitude des faits. La décision de la Cour remet en cause un certain nombre de notions en droit français. A la différence de la diffamation, le délit d’offense à un chef d’Etat étranger ne permet pas de rapporter la preuve des allégations avancées afin de s’exonérer de sa responsabilité pénale. Ceci constitue une mesure excessive pour protéger la réputation ou les droits d’une personne. La Cour conclut que le régime dérogatoire est attentatoire à la liberté d’expression soustrayant à la critique le chef d’état seulement en raison de sa fonction. D’autre part, le délit d’offense tend à porter atteinte à la liberté d’expression sans répondre à un “ besoin social impérieux ” susceptible de justifier cette restriction. Il n’existe donc pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les restrictions imposées à la liberté d’expression et l’objectif légitime poursuivi. Maître Massis s’interroge sur le sort de la loi du 29 juillet 1881 dont la Cour sape le fondement. La loi de 1881 étant modifiée de facto par la Cour EDH, ne s’oriente-t-on pas vers un système de common Law. Cependant, bien qu’il existe une opposition latente, les juridictions françaises et européennes, empruntant des voies différentes, parviennent à la même solution. La conciliation des deux systèmes européen et français ne semble pas impossible. Il existe des soubassements communs. Une sorte d’harmonie règne entre la Convention EDH et le souffle de la loi de 1881, consécration positive de l’article 11 de la Déclaration de 1789 ; la liberté d’expression devant l’emporter sur le droit d’autrui.

 

     La matinée se poursuit par l’examen de l’équité de la procédure. M. Antoine Buchet, Sous-directeur des droits de l’Homme à la Direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères commentant l’arrêt Meftah et autres du 26 juillet 2002, traite du monopole des avocats aux Conseils ainsi que du rôle de l’Avocat général devant la Cour de cassation. Dans la présente affaire, il est question du droit de se défendre seul et des conséquences qu’il emporte. La Cour EDH considère que le droit de choisir son défendeur n’est pas absolu, on peut y apporter des restrictions. La spécificité de la procédure devant la Cour de cassation, considérée dans sa globalité, peut justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole. “ Une telle réserve n’est pas de nature à remettre en cause la possibilité raisonnable qu’ont les requérants de présenter leur cause dans des conditions qui ne les placent pas dans une situation désavantageuse ”. Concernant l’absence de communication aux requérants du sens des conclusions de l’Avocat général et l’impossibilité d’y répliquer par écrit, la Cour applique sa jurisprudence antérieure. Faute d’avoir offert aux requérants un examen équitable de leur cause devant la Cour de cassation dans le cadre d’un procès contradictoire, en assurant la communication du sens des conclusions de l’Avocat général et en permettant d’y répondre par écrit, il y a eu violation de l’article 6 § 1. L’intervenant retrace l’évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière et souligne que l’élaboration des normes européennes est un long processus. Il constate que l’édifice jurisprudentiel est en voie d’élaboration. Par conséquent, toute approche globale reste encore difficile en ce domaine.

 

     L’étude de l’équité de la procédure se poursuit par l’intervention de M. Frédéric Rolin, Professeur à l’Université d’Evry-Val d’Essonne. Son commentaire des arrêts Del Sol et Essaadi du 26 février 2002 traite le thème de l’accès à un tribunal et de l’aide juridictionnelle. En l’espèce, les demandes d’obtention d’aide juridictionnelle formées par les requérants dans la perspective de l’introduction de pourvois en cassation furent rejetées en l’absence de moyens sérieux à l’appui des recours. La Cour EDH considère que le système mis en place par le législateur français offre des garanties substantielles de nature à préserver les individus de l’arbitraire. “ Le refus du bureau d’aide juridictionnelle d’accorder l’aide judiciaire pour saisir la Cour de cassation, n’a pas atteint dans sa substance même le droit d’accès à un tribunal du requérant ”. La Cour n’a pas mesuré les enjeux de la question, et aborde l’accès à la justice de manière abstraite et formelle. M. Rolin regrette le caractère archaïque de la jurisprudence de la Cour qui méconnaît l’évolution actuelle en la matière. En effet, l’aide juridictionnelle tend à devenir un droit fondamental autonome se dissociant de la notion d’accès au juge. Il s’inscrit dans de cadre de l’accès au droit et en constitue un aspect. L’article 47 de la Charte des droits fondamentaux accorde une protection plus étendue que l’article 6 de la CEDH, en prévoyant expressément le recours à l’aide juridictionnelle.

 

                Pour conclure cette matinée, Mme Claire d’Urso, Magistrat au Service des affaires européennes et internationales (SAEI) du Ministère de la Justice, examine l’obligation de mise en état et le droit de l’accusé d’être défendu par un avocat, à travers l’affaire Karatas et Sari du 16 mai 2002. Invoquant les articles 6 § 1 et 3 c), les requérants se plaignaient de ne pas avoir eu droit à un procès équitable, faute d'avoir pu se faire entendre par l'intermédiaire de leurs avocats, ainsi que d'une violation de leur droit d'accès à un tribunal, en raison de l'impossibilité d'exercer l'opposition au jugement de condamnation sans se faire préalablement emprisonner. Quant au droit à l’assistance d’un avocat, la Cour va se distinguer de sa jurisprudence antérieure. Le fait qu’un prévenu ne comparaisse pas, ne saurait justifier qu’il soit privé du droit à l’assistance d’un défenseur. Les requérants en fuite, avaient ainsi manifesté leur volonté de ne pas se rendre à l’audience, et n’entendaient dès lors pas se défendre eux-mêmes. Suivant le raisonnement de la Cour, Mme d’Urso considère qu’il est dès lors possible de demander par écrit, en cas d’absence, que son avocat soit entendu à l’audience. Ainsi, la position développée par la Cour dans cette affaire, va certainement modifier la nature des débats devant les juridictions internes. Quant au droit d’accès à un tribunal, la Cour européenne va se référer à sa jurisprudence antérieure. L’obligation de se constituer prisonnier afin d’avoir accès à un tribunal, ne constitue pas une entrave au droit d’accès à un tribunal, mais, résulte de l’obligation préexistante à laquelle les requérants se sont soustraits : celle de demeurer à la disposition de la justice afin d’accéder à un tribunal.

 

 

***

 

 

     Les deux premières interventions de l’après-midi sont consacrées au thème de la détention. Dans un premier temps, la détention est abordée par Maître Michel Puechavy sous l’angle du traitement médical et de la dignité du détenu à travers l’arrêt Mouisel du 14 novembre 2002. Le requérant, atteint d’une leucémie, se plaignait de son maintien en détention et des conditions de celle-ci nonobstant la grave maladie dont il souffrait. Selon la Cour, l’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent des situations pour lesquelles la capacité à la détention est posée au regard de l’article 3 de la Convention. Bien qu’il n’y ait pas d’obligation générale de libérer un détenu en raison de son état de santé, cette disposition impose aux Etats de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Par ailleurs, la Cour rappelle que les modalités d’exécution des mesures prises ne doivent pas soumettre le détenu à une détresse ou une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. La Cour estime que le fait d’être menotté lors des transferts à l’hôpital alors que les circonstances ne l’exigeaient pas, constitue une mesure disproportionnée. Enfin, la Cour relève que les transferts ne sont pas conformes aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture sur les conditions de transfert et d’examen médical des détenus. Aussi, les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant. La jurisprudence de la Cour relative à l’article 3 évolue et adopte une interprétation plus souple. Maître Puechavy approuve cette extension et constate que la notion de dignité humaine tend à se substituer aux notions négatives de l’article 3 de la Convention européenne.

 

     Suit l’analyse de la détention à travers l’internement psychiatrique et l’exigence de l’examen à bref délai de sa régularité. Isabelle Moulier, Doctorante à l’Université de Paris I, commente les arrêts L.R. et D.M. du 27 juin 2002 et Laidin du 5 novembre 2002. La loi étant commune à tous les citoyens, à ce titre, les personnes atteintes de troubles mentaux bénéficient de la plénitude de leur droit notamment celui de la liberté. La Cour rappelle le droit d’introduire un recours et l’obligation de diligence pour les juridictions internes de statuer dans un bref délai. Les trois affaires exposées tentent de cerner la notion de bref délai. La protection de l’article 5 § 1 de la Convention pose un principe de liberté assorti d’exceptions pour lesquelles la privation de liberté est autorisée. L’internement psychiatrique bénéficie d’un encadrement juridique rigoureux, la privation de liberté doit en effet répondre à des conditions minimales. L’article 5 § 4 offre une série de garanties quelle que soit l’origine de la détention, dont la garantie d’introduire un recours juridictionnel. L’effectivité du recours n’acquiert sa véritable dimension que s’il est rapide. Cependant, l’étendue de l’obligation de statuer dans un bref délai n’est pas identique et varie en fonction des faits de l’espèce. La Cour a recours à la notion de sans délai ou bien à celle de bref délai. En l’absence de critères précis et uniformes, divers éléments sont pris en compte par la Cour : dysfonctionnements dans l’organisation judiciaire, vulnérabilité de l’individu. La Cour en tire les conséquences au vue de la situation de vulnérabilité des personnes internées. La Cour réaffirme la primauté de la liberté individuelle. Le débat sur la judiciarisation de la procédure d’internement psychiatrique en France et l’assistance à ce type de malade devrait aboutir à l’adoption d’une réforme.

 

                C’est à travers l’examen de l’affaire Göktan du 2 juillet 2002 qu’Olivier Bachelet, ATER à l’Université de Paris I, examine les particularités du procès pénal notamment la contrainte par corps au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le requérant alléguait que l'application de la contrainte par corps, en exécution du paiement des amendes douanières infligées parallèlement à des peines d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants, aboutissait dans la pratique à infliger au condamné deux peines de prison successives en punition des mêmes faits délictueux. Le refus de la Cour d'appel de prononcer la confusion des deux peines de prison, confirmé par la Cour de cassation, portait atteinte à l'article 4 du Protocole n°7. La Cour européenne considère que la contrainte par corps dont est assortie l’amende douanière n’est pas une mesure d’exécution de celle-ci, mais constitue une peine au sens de l’article 4 du Protocole n° 7. La Cour se montre réservée à l’égard du système de la contrainte par corps qui est une “ mesure de privation de liberté archaïque ”. La peine obligatoire se concilie difficilement avec la séparation des pouvoirs et le pouvoir d’appréciation des tribunaux, essence même de leur fonction. Quant à la double peine, la Cour EDH considère qu’il y a, en l’espèce, un concours idéal de qualifications, à savoir qu’un fait pénal unique se décompose en deux infractions distinctes : un délit pénal général et un délit douanier. L’intervenant souligne l’aspect particulier des faits et met en exergue que la Cour n’applique pas réellement la théorie du concours idéal d’infraction qui recouvre l’hypothèse où un même fait est susceptible d’être qualifié de plusieurs infractions, le juge retenant la plus appropriée. En outre, la théorie du concours idéal de qualifications, telle que dégagée par la jurisprudence française, exige pour s’appliquer, la protection de deux intérêts distincts : l’intérêt des finances publiques et l’intérêt de la sûreté publique, en l’espèce. Or la Cour ne précise pas cette condition pourtant essentielle en droit pénal français. Dès lors, la position de la Cour semble critiquable au regard du principe non bis in idem. M. Bachelet examine ensuite l’affaire sous l’angle de la théorie du concours réel d’infractions plus appropriée en l’espèce dans la mesure où deux actes distincts ont été commis par le requérant, chacun n’étant susceptible que d’une seule qualification (et non un fait unique susceptible de plusieurs qualifications, tel que retenu par la Cour européenne).

 

            Les particularités du procès pénal sont ensuite examinées à travers l’arrêt Berger du 3 décembre 2002, sous l’angle de la limitation au droit de la partie civile de se pourvoir en cassation, par Maître Vincent Delaporte, Avocat aux Conseils. Il commente la place laissée en droit français à la partie civile dans le cadre du procès pénal. En l’espèce, la requérante se plaignait de l’équité de la procédure pénale engagée suite à sa plainte avec constitution de partie civile. Elle se plaignait, d’une part, d’une atteinte au droit d’accès à un tribunal en raison de la décision de la Cour de cassation de déclarer son pourvoi irrecevable à défaut d’un pourvoi de la part du ministère public ; d’autre part, d’une rupture du principe de l’égalité des armes en raison du défaut de transmission du rapport du conseiller rapporteur à son conseil. La Cour européenne rappelle que le “ droit à un tribunal ”, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu. L’Etat jouit en ce domaine d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable et doivent tendre à un but légitime. De même, un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé est exigé. La Cour relève que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire. Ainsi, la partie civile ne dispose pas d’un droit illimité à l’exercice du pourvoi en cassation contre les arrêts de non-lieu. La partie civile peut ainsi faire valoir ses droits devant les juridictions civiles. La Cour considère qu’en l’espèce, le principe de l’égalité des armes ne fut pas méconnu, eu égard à la place dévolue dans le procès pénal, à l’action civile et aux intérêts complémentaires de la partie civile et du ministère public.

 

            La seconde partie de la demi-journée du colloque est consacrée à l’étude du respect de la vie privée et familiale et du domicile. Rappelant les différentes phases de la procédure d’adoption en France, Mme Béatrice Bourdelois, Professeur à l’Université du Havre, aborde la délicate question de l’adoption d’un enfant par un homosexuel à travers la décision du 26 février 2002 dans l’affaire Fretté. Le requérant, homosexuel célibataire, s’est vu refusé sa demande d’agrément préalable malgré des rapports favorables. La Convention EDH ne garantit pas, en tant que tel, un droit d’adopter. Cependant, dès lors que l’Etat crée un droit, il doit se conformer aux dispositions de la Convention si celui-ci entre dans le champ d’application de la Convention. En l’espèce, la Cour juge in abstracto dans la mesure où aucune famille n’est constituée. Les décisions de rejet de la demande d’agrément poursuivaient un but légitime : protéger la santé et les droits des enfants pouvant être concernés par une procédure d’adoption, pour laquelle l’octroi d’agrément constitue en principe une condition préalable. La Cour rappelle que “ les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique ”. La Cour analyse l’état du droit en la matière et ne peut trancher la question. En effet, aucun consensus au niveau international ou européen ne se dégage à l’heure actuelle sur cette question. Le droit traverse une phase de transition, il faut donc laisser une large marge d’appréciation aux autorités nationales.

 

     Le thème du respect de la vie privée est ensuite abordé sous l’angle de la protection du domicile des personnes morales. Mme Laurence Burgorgue-Larsen, Professeur à l’Université de Rouen, commente l’affaire Sociétés Colas Est et autres du 16 avril 2002. Suite à des perquisitions, les requérantes furent condamnées à des sanctions pécuniaires, sur la base de documents saisis. La Cour européenne considère qu’il est temps de reconnaître que les droits garantis sous l’angle de l’article 8 de la Convention puissent être interprétés comme incluant pour une société, le droit au respect de son “ domicile ”. La Cour constate que ni la législation, ni la pratique en la matière n’offraient de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. A l’époque des faits, l’administration compétente disposait de larges pouvoirs, et opérait sans mandat préalable du juge judiciaire et hors présence d’un officier de police judiciaire. L’intervenante met en exergue la montée en puissance de l’article 8. L’arrêt  Stés Colas Est et autres parachève l’évolution de la conception de la vie privée initiée par l’arrêt Chappel c. Royaume-Uni (la notion de domicile est étendue aux locaux professionnels), et amplifiée par l’arrêt Niemietz c. Allemagne (au droit au respect de la vie privée, vient s’ajouter le droit à la vie privée sociale ou commerciale). Le domicile est entendu de manière compréhensible par le juge. La Cour opère une reconnaissance des droits substantiels des sociétés. Analysant la démarche argumentaire de la Cour qui essaie d’identifier la portée de la vie commerciale, Mme Burgorgue-Larsen constate qu’il n’y a, dans l’arrêt, ni référence législative, ni jurisprudence constitutionnelle, ni droit communautaire. La Cour se réfère explicitement à la doctrine du droit vivant. En outre, la Cour reconnaît aux personnes morales le droit à réparation résultant d’un préjudice autre que matériel. La démarche de la Cour s’inscrit dans un mouvement d’ensemble. Soulignant les divergences jurisprudentielles entre les deux Cours européennes, l’intervenante constate qu’à l’heure actuelle les deux juridictions ont adopté la même position en la matière ; la CJCE s’est alignée sur la jurisprudence de Strasbourg dans un arrêt rendu le 22 octobre 2002. Toutefois, quant à la portée de l’applicabilité de l’article 8 aux sociétés commerciales, la démarche de la Cour de Strasbourg reste vague. Reprenant la solution dégagée par le juge constitutionnel espagnol, Mme Burgorgue-Larsen explique que la Cour met en adéquation l’intensité du niveau de protection accordée à un droit et l’ingérence tolérée à l’exercice de ce même droit.

 

      Passant à la présentation de la liberté de réunion, Mme Céline Renaut, Doctorante à l’Université de Paris XI, ATER à l’Université d’Evry-Val d’Essonne, commente l’arrêt Cissé du 9 avril 2002, concernant l’affaire des “ sans papiers de Saint-Bernard ”. Ressortissante sénégalaise, la requérante occupa, en compagnie d’environ deux cents personnes en situation irrégulière, une église afin d’attirer l’attention sur les difficultés pour obtenir un réexamen de leur situation administrative. Cette situation pris fin après deux mois d’occupation, lorsque les forces de l’ordre, exécutant un arrêté préfectoral, expulsèrent et interpellèrent tous les occupants de l’église au motif que l’occupation était étrangère à l’exercice du culte, que les conditions précaires de salubrité s’étaient dégradées et qu’il existait des risques graves pour la santé, la tranquillité, la sécurité et l’ordre public. La requérante fut condamnée à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir pénétré et séjourné en France illégalement. La question qui se posait à la Cour de Strasbourg était celle de savoir si des étrangers en situation irrégulière ont ou non le droit de se réunir pacifiquement en vertu de l’article 11 de la Convention. En l’espèce, la Cour ne consacre pas de façon explicite cette liberté. Analysant la décision de la Cour, Mme Renaut, constate qu’une telle consécration découle, d’une part, du rejet de l’argumentation française tendant à faire du caractère irrégulier du séjour de la requérante un motif légitime d’ingérence dans la liberté de réunion de la requérante et, d’autre part, de la reconnaissance d’une ingérence du gouvernement français dans l’exercice par la requérante de son droit. C’est non sans embarras que la Cour considère que l’interférence dans la liberté de réunion de la requérante ne fut pas disproportionnée et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11. Ainsi, la liberté de réunion reconnue aux personnes en situation irrégulière est largement illusoire. En effet, la Cour laisse la porte ouverte à une répression indirecte de l’exercice du droit à la liberté de réunion des sans papiers et soumet l’exercice de celle-ci de façon excessive au pouvoir d’appréciation de l’Etat. L’intervenante souligne que, dans cette affaire, la Cour ne rappelle aucun devoir positif ou négatif à la charge de l’Etat. Cependant, Mme Renaut nuance la portée de l’arrêt Cissé en ce qu’il s’agit d’un arrêt d’espèce et non de principe ; la position de la Cour peut donc évoluer et prendre en compte les répercussions concrètes de la situation irrégulière des personnes sur l’exercice de leurs libertés fondamentales.

 

     La fin de cette journée est consacrée au respect des biens et au droit de propriété. M. Michel Prat, magistrat à la Cour des Comptes, aborde les difficultés d’application de la 6ème directive communautaire en matière de TVA devant le juge de Strasbourg, à travers l’examen de la décision du 16 avril 2002 rendue en l’affaire SA Dangeville. En l’espèce, la question soulevée concernait la créance d’une société sur l’Etat. La requérante, société de courtiers en assurance dont l’activité est soumise à la TVA, s’acquitta de la taxe correspondant à ses opérations de 1978. Or, les dispositions de la 6e directive communautaire, applicables à compter du 1er janvier 1978, exonéraient de la TVA certaines opérations. Le 30 juin 1978, la 9e directive du Conseil des communautés européennes fut notifiée à l’Etat français, lui accordant un délai supplémentaire pour la mise en œuvre des dispositions. N’ayant pas d’effet rétroactif, la 6e directive devait s’appliquer du 1er janvier au 30 juin 1978. La requérante, invoquant le bénéfice de la 6° directive, demanda la restitution de la TVA indûment versée. Par ailleurs, une instruction administrative annula les redressements fiscaux des courtiers n'ayant pas acquitté la TVA au titre de cette période. La requérante forma un recours rejeté par le Conseil d'Etat. Alors que statuant sur l'action d’une société dont l’activité commerciale et les prétentions étaient semblables à celles de la requérante, le Conseil d’Etat opéra un revirement de jurisprudence et fit droit à la demande de remboursement par l’Etat des sommes indûment versées. La Cour européenne constate que “ la requérante bénéficiait d’une créance sur l’Etat et qu'en tout état de cause elle avait pour le moins une espérance légitime de pouvoir en obtenir le remboursement ”. Analysant ensuite l’ingérence dans les biens, la haute Cour relève qu’elle ne répondait pas aux exigences de l’intérêt général et que l’atteinte apportée aux biens de la société requérante revêtait un caractère disproportionné. La Cour prend en compte l’absence de mise en œuvre des procédures internes offrant un remède suffisant pour assurer la protection du droit au respect des biens ayant rompu le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la protection des droits fondamentaux. M. Prat approuve la décision de la Cour constatant, en l’espèce, une violation de l’article 1 du Protocole n°1.

 

      La dernière intervention est consacrée à l’examen de l’expropriation au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme. M. Jean-Pierre Demouveaux, Premier Conseiller à la Cour administrative d’appel de Paris, présente les arrêts Lallement du 11 avril 2002 et Motais de Narbonne du 2 juillet 2002. Il s’agissait dans les deux affaires de déterminer le quantum de l’indemnité suite à une procédure d’expropriation. Dans l’affaire Lallement, bien que le requérant, exproprié pour cause d’utilité publique, ait perçu une indemnité, il lui était impossible de reconstituer son exploitation agricole en raison notamment de la complexité de la législation en matière de terrains agricoles. Les tribunaux ayant une vision désincarnée, ont rejeté ses recours. L’indemnisation accordée couvrait le préjudice matériel sans prendre en compte le préjudice moral subi. L’expropriation a eu pour effet d’empêcher le requérant attaché sentimentalement à ses terres de poursuivre de manière rentable son activité. Constatant que l'indemnité versée ne couvre pas spécifiquement cette perte, la Cour estime qu'elle n’est pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien exproprié et conclut à la violation de l’article 1 du Protocole n°1. Dans son opinion concordante, le Juge Costa souligne qu’il s’agit d’une situation particulière qui ne doit pas avoir une portée jurisprudentielle trop extensive. Mme Koering-Joulin s’interroge sur la possibilité de plaider ce type d’affaire en se fondant sur la violation combinée de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole 1 pour obtenir réparation du préjudice moral.

Dans la seconde affaire, M. Demouveaux nous invite à nous intéresser aux rapports entre le temps et l’indemnisation. Un arrêté préfectoral de 1982 déclara d’utilité publique le projet d’acquisition par le département d’un terrain “ en vue de la constitution de réserves foncières destinées à l’habitat très social ”. L’indemnité d’expropriation est fixée par un jugement de 1983. Par la suite, le terrain fut en partie cédé à une société immobilière. En 1989, le terrain étant resté à l’état de friche, le TGI fut saisi d’une demande tendant à la rétrocession du bien, puis en substitution, au paiement de sa valeur actualisée, diminuée de l’indemnité d’expropriation déjà perçue. Le tribunal estima sa demande fondée ce qu’infirma la Cour d’appel. La valeur du terrain ayant considérablement augmenté, la Cour européenne constate que “ les requérants sont fondés à soutenir qu'ils ont été indûment privés d'une plus value engendrée par le bien exproprié et ont subi une charge excessive du fait de l'expropriation litigieuse ”. L’intervenant expose ensuite les différentes possibilités pour chiffrer l’écoulement du temps, dont l’indexation. Concernant le litige administratif pour lequel il est difficile de procéder à une analyse abstraite, M. Demouveaux relève qu’il s’agit d’un défit juridique. Il faut, en effet, que le juriste renonce à ce confort et se plonge dans les “ méandres ” du droit.

 

 

     L’examen approfondi des arrêts rendus contre la France au cours de l’année 2002 par la Cour européenne des droits de l’Homme a permis de rendre compte de l’évolution de la protection de la personne humaine et des intérêts des justiciables. La Cour européenne développe une jurisprudence importante quant aux droits des sociétés commerciales. Cependant, on peut regretter que la Cour européenne reste frileuse concernant certains domaines, laissant aux autorités de chaque Etat membre une large marge d’appréciation. La protection accrue accordée par les organes européens, s’accompagne de l’instauration au niveau national de nouvelles procédures comme la Commission de réexamen des décisions pénales en France. La protection des droits de l’Homme devrait aussi être renforcée avec l’adoption de la future Constitution européenne. La coexistence de deux cours, bientôt compétentes au niveau européen pour se prononcer sur d’éventuelles violations des droits de l’Homme, soulève de nombreuses difficultés auxquelles les intervenants ont apporté des éléments de réponse tout au long de cette journée. Les instances de Strasbourg et de Luxembourg, conscientes de l’enjeu de cette problématique, ont à cœur de préserver la sécurité et la cohérence du système de protection des droits de l’Homme. A terme, le système européen devrait conférer un niveau de protection des droits civils, culturels et politiques mais aussi sociaux et économiques garantissant au mieux les intérêts des justiciables.

 

 

     Après une journée riche de contributions et de discussions, le Professeur Paul Tavernier a conclu ce colloque, remerciant les intervenants de leur présence et l’assistance nombreuse de son intérêt soutenu. Les actes du colloque seront prochainement publiés dans les Cahiers du CREDHO et seront également mis en ligne sur le site internet (www.credho.org). Les arrêts les plus importants rendus par la Cour en 2002 feront également l’objet d’un commentaire à paraître dans la “ Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ”, placée sous la direction de MM. les Professeurs Emmanuel Decaux et Paul Tavernier dans la revue Journal du Droit International.  

 

 

Anne-Laure ZERR

Doctorante à l’Université Paris XI

 

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