Avant
Propos
Ce
nouveau Cahier du CREDHO présente les
commentaires et les débats qui ont eu lieu lors du septième colloque organisé
par le CREDHO, le 19 janvier 2001, sur "La France et la Cour européenne
des droits de l'Homme". Les quatre premiers s'étaient déroulés à Rouen
et les suivants se sont tenus à la Faculté Jean Monnet à Sceaux. Celui de
l'an 2000 était placé sous la présidence de M. Michele De
Salvia, Greffier de la Cour de Strasbourg. Tout le monde connaît la
carrière de ce juriste éminent, consacrée aux droits de l'Homme, à la
Commission d'abord, puis à la Cour. Mais ce technicien expérimenté du droit
est aussi un enseignant et un professeur de grand talent ainsi qu'un chercheur,
qui a lancé l'idée d'un "jus
commune" européen dans une contribution remarquée parue dans les Mélanges Wiarda en 1998. Ce sont toutes ces qualités que l'on
retrouve dans la contribution par laquelle Michele De
Salvia a ouvert le colloque et dans ses nombreuses interventions au cours
des discussions qu'il a menées de main de maître.
Comme
à l'accoutumée, l'assistance était nombreuse et les autorités de l'Université
ont marqué leur intérêt pour cette manifestation par la présence du vice-Président
Charbonneau,
et du Doyen Jean-Pierre Faugère,
doyen de la Faculté Jean Monnet à Sceaux. Celui-ci a fait ressortir les
particularités du colloque du CREDHO, notamment ses caractères récurrent et
interdisciplinaire, ainsi que l'équilibre des générations qu'il vise à réaliser.
Assurer
la réussite d'une telle réunion, devenu désormais annuelle, n'est pas chose
aisée. C'est au contraire une lourde responsabilité, car il faut faire au
moins aussi bien, sinon mieux, chaque année, et la tâche devient de plus en
plus difficile. Quant à l'interdisciplinarité, elle est au cœur de la
Convention européenne des droits de l'Homme et de la jurisprudence de
Strasbourg qui pénètrent de plus en plus tard les domaines du droit. Cette année
l'accent a été mis sur le droit privé avec les affaires Mazurek et Gnahoré. Les
spécialistes du droit privé, et notamment du droit civil, semblent en effet
avoir pris conscience un peu tardivement, du moins en France, de l'importance de
la Convention européenne pour le développement de leur matière, comme en témoignent
la thèse récente d'Anne Debet
et une étude de Jean-Pierre Marguénaud
parue il y a peu. Un autre trait essentiel du colloque du CREDHO est l'équilibre
des générations qui permet aux étudiants de côtoyer des spécialistes et des
praticiens confirmés et qui donne l'occasion à de jeunes juristes de faire la
preuve de leur talent dans l'exposé des arrêts rendus par la Cour européenne,
comme ce fut le cas, cette année, d'Olivier Bachelet
et de David Rochon.
Tous
ces éléments contribuent au succès de cette rencontre annuelle qui a fait la
démonstration de son utilité, et dont on peut retrouver toute la substance
dans les Cahiers du CREDHO, à la fois
sur papier et sur la toile (www.credho.org).
La réussite de cette entreprise est due à la qualité des intervenants, mais
elle dépend aussi beaucoup de l'aide matérielle et du soutien moral apportés
par le Conseil scientifique de la Faculté, par l'IEDP et par l'IEJ, ainsi que
de l'assistance souriante et efficace du secrétariat en la personne de Florence
Chrétien.
Qu'ils en soient tous remerciés.
Paul
TAVERNIER
Juin
2001
|
Brève
présentation statistique des arrêts rendus par la Cour de Strasbourg contre la
France durant l'année 2000
par
Paul
Tavernier
Professeur
à l'Université de Paris XI
Directeur
du CREDHO-Paris Sud
Une
approche statistique de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg semble de plus
en plus justifiée étant donné que le nombre des arrêts, concernant la
France, aussi bien que l'ensemble des Etats parties à la Convention, a fait un
bond considérable et sans précédent en l'an 2000.
Le contentieux "français" représente 73 arrêts (voir tableau et
graphique supra) contre 23 seulement
en 1999 et 28 en 1998, sur un total de 695 arrêts rendus par la Cour en l'an
2000, soit environ 10,5 %, contre 177 en 1999 et 106 en 1998. Sur les 73 arrêts
concernant la France, seuls trois ont été prononcés par une Grande Chambre
(les arrêts Cha'are Shalom et Frydlender
du 27 juin et l'arrêt Maaouia du 5
octobre), les autres étant rendus en quasi totalité par la IIIe section présidée
par le juge français, Jean-Paul Costa
(66 arrêts sur 73 arrêts) ; la section I a rendu deux arrêts contre la France
; les sections II et IV chacune un arrêt.
•
Statistiques concernant la procédure depuis l'introduction de la requête
jusqu'à la décision de recevabilité
(données
concernant la France)
|
1999
|
2000
|
|
Nb
dossiers
|
Pourcentage
|
Nb
dossiers
|
Pourcentage
|
Dossiers
provisoires ouverts
|
2581
|
2813
(+
232 + 9%)
|
Requêtes
enregistrées
|
870/2581
|
33,71
|
1033/2813
|
36,72
(+
3%)
|
Requêtes
déclarées irrecevables ou rayées du rôle
|
|
•par
rapport aux dossiers ouverts
|
280/2581
|
10,85
|
626/2813
|
22,25
|
•par
rapport aux requêtes enregistrées
|
280/870
|
32,18
|
626/1033
|
60,60
|
Requêtes
communiquées au gouvernement
|
|
•par
rapport aux dossiers ouverts
|
121/2581
|
4,69
|
105/2813
|
3,73
|
•par
rapport aux requêtes enregistrées
|
121/870
|
13,90
|
105/1033
|
10,16
|
Requêtes
déclarées recevables
|
|
•par
rapport aux dossiers ouverts
|
51/2581
|
1,98
|
80/2813
|
2,4
|
•
par rapport aux requêtes enregistrées
|
51/870
|
5,86
|
80/1033
|
7,74
|
Il
ressort de ce tableau que l'augmentation du nombre de dossiers ouverts de 1999
à 2000 est assez importante (près de 9 %), alors que celle des requêtes
enregistrées est plus faible (seulement 3 %). Quant au taux de recevabilité
des requêtes, il est faible, soit 7,74 % par rapport aux requêtes enregistrées
en 2000, et 2,4 % par rapport aux dossiers provisoires ouverts la même année.
Ce taux est plus faible que le taux moyen concernant tous les Etats parties à
la Convention : soit 10,32 % pour le nombre de requêtes recevables par rapport
aux requêtes enregistrées (1082/10486 en 2000) et 4,1 % par rapport aux
dossiers provisoires (1082/26398). Il est vrai que l'Italie présente un profil
particulier en 2000 : 485 requêtes recevables pour 867 requêtes enregistrées,
soit un taux de recevabilité de 56 %, et pour 5142 dossiers provisoires, soit
un taux de 9,43 %.
•
Statistiques concernant la procédure après la décision de recevabilité
(cas
de la France pour l'année 2000)
|
Nb
arrêts
|
Pourcentage
|
Arrêts
constatant un règlement amiable
|
10
|
|
Arrêts
de radiation
|
2
|
|
Arrêts
accueillant une exception préliminaire (non-épuisement des voies de
recours internes)
|
4
|
|
Arrêts
constatant l'inapplicabilité (de l'article 6)
|
1
|
|
Total
des arrêts qui ne se sont pas prononcés sur le fond
|
17/73
|
23,29
|
Total
des arrêts qui se sont prononcés sur le fond
|
56/73
|
76,71
|
Arrêts
constatant au moins une violation de la Convention
|
|
|
•par
rapport au nombre d'arrêts qui ne sont pas prononcés sur le fond
|
50/73
|
68,49
|
•par
rapport au nombre d'arrêts qui se sont prononcés sur le fond
|
50/56
|
89,29
|
Arrêts
ne constatant aucune violation de la Convention
|
|
|
•par
rapport au nombre d'arrêts qui se sont prononcés sur le fond
|
6/73
|
8,22
|
•par
rapport au nombre d'arrêts qui se sont prononcés sur le fond
|
6/56
|
10,71
|
Ce
tableau montre que le nombre des arrêts qui ne se prononcent pas sur le fond de
l'affaire est assez élevé (près du quart) et que le taux des violations
constatées est loin d'être négligeable (près de 90 % des arrêts s'étant
prononcés sur le fond). Ces données doivent être comparées aux chiffres
concernant les autres pays.
•
Arrêts constatant un règlement amiable et arrêts de radiation
(taux
par rapport au total des règlements amiables et radiations, et par rapport au
nombre d'arrêts du pays concerné) (an 2000)
Autriche
|
6/242
|
2,48
%
|
6/21
|
28,57
%
|
France
|
13/242
|
5,37
%
|
13/73
|
17,81
%
|
Italie
|
160/242
|
66,12
%
|
160/396
|
40,40
%
|
Pologne
|
7/242
|
2,89
%
|
7/19
|
36,84
%
|
Portugal
|
9/242
|
3,72
%
|
9/20
|
45
%
|
Royaume-Uni
|
8/242
|
3,31
%
|
8/30
|
26,66
%
|
Turquie
|
13/242
|
5,37
%
|
13/39
|
33,33
%
|
Il
y a eu au total 242 règlements amiables ou radiations du rôle en l'an 2000,
alors qu'il n'y en avait eu que 41 en 1999 ; mais l'augmentation est due
essentiellement à l'Italie (passée de 25 à 160 règlements amiables). Le taux
de règlements amiables ou de radiations pour la France est relativement peu élevé
par rapport à d'autres pays, mis à part le cas particulier de l'Italie.
•
Arrêts ayant statué sur le fond (constat
de violation et de non-violation par rapport au nombre d'arrêts sur le fond
concernant le pays considéré, et par rapport au total des arrêts sur le fond)
(an 2000)
|
|
Nb
arrêts
|
Pourcentage
|
Nb
arrêts
|
Pourcentage
|
Autriche
|
|
|
violation
|
13/15
|
86,67
%
|
13/422
|
3,08
%
|
|
non-violation
|
2/15
|
13,33
%
|
2/20
|
10
%
|
France
|
|
|
violation
|
49/56
|
87,50
%
|
49/422
|
11,61
%
|
|
non-violation
|
7/56
|
12,50
%
|
7/20
|
35
%
|
Italie
|
|
|
violation
|
233/235
|
99,15
%
|
233/422
|
55,21
%
|
|
non-violation
|
2/235
|
0,85
%
|
2/20
|
10
%
|
Turquie
|
|
|
violation
|
23/26
|
88,46
%
|
23/422
|
5,4
%
|
|
non-violation
|
3/26
|
11,54
%
|
3/20
|
15
%
|
Royaume-Uni
|
|
|
violation
|
16/19
|
84,21
%
|
16/422
|
3,79
%
|
|
non-violation
|
3/19
|
15,79
%
|
3/20
|
15
%
|
On
relève que la France vient en seconde position, mais loin derrière l'Italie en
ce qui concerne le nombre des arrêts de condamnation, mais la proportion entre
les arrêts de condamnation et les arrêts ne relevant aucune violation est
assez proche de celle que l'on trouve pour les autres pays, sauf le cas
particulier de l'Italie où le taux de violation est de plus de 99 % !
•
La répartition du contentieux français par matière
Article
3
(mauvais
traitement lors d'une arrestation)
|
1/81
|
1,23
%
|
Article
5
(durée
de la détention provisoire)
|
6/81
|
7,41
%
|
Article
6
|
|
|
procès
équitable
|
11/81
|
13,58
%
|
durée
de la procédure
|
57/81
|
66,28
%
|
total
pour l'article 6
|
68/81
|
83,95
%
|
total
pour les articles 5 et 6
|
74/81
|
91,36
%
|
Article
8
(vie
familiale)
|
2/81
|
2,47
%
|
Article
9
(abattage
rituel)
|
1/81
|
1,23
%
|
Article
10
(liberté
de la presse)
|
1/81
|
1,23
%
|
Article
14
(discrimination
de l'enfant adultérin)
|
1/81
|
1,23
%
|
Article
1 Protocole I
(expropriation)
|
1/81
|
1,23
%
|
Ce
tableau confirme que pour la France, comme pour l'ensemble des Etats parties, le
contentieux de la Cour de Strasbourg est concentré essentiellement sur deux
articles de la Convention, les articles 5 et 6 représentant à eux seuls plus
de 90 % et l'article 6 lui-même plus de 80 %. La place qui revient au
contentieux relatif aux autres dispositions de la Convention est des plus réduites
(8,64 % pour les articles 3, 8, 9, 10 et 1 du Protocole I). Cette situation,
n'est pas propre à la France et le contentieux relatif à la durée excessive
de la procédure apparaît hypertrophié (66,28 %), comme c'est le cas, non
seulement pour l'Italie, mais aussi pour beaucoup d'autres Etats parties. Il y a
là un problème très préoccupant pour l'avenir de la Cour de Strasbourg.
Celle-ci a essayé d'y remédier en mettant les Etats devant leurs responsabilités
dans l'affaire Kudla c/ Pologne (voir notre commentaire au Journal du droit
international, n° 1, 2001, pp. 191-195), mais ceux-ci prendront-ils les mesures
nécessaires ? En ce qui concerne la France, la répartition des affaires
mettant en cause la durée excessive de la procédure était la suivante en l'an
2000 : juridictions civiles (11 affaires), juridictions administratives (22
affaires), juridictions prud'homales (10 affaires), juridictions pénales (10
affaires) et juridictions pénales avec constitution de partie civile (4
affaires).
Même
si le contentieux relatif à la Convention européenne des droits de l'Homme est
concentré statistiquement sur les articles 5 et 6, cela ne diminue en rien,
bien au contraire, l'intérêt de l'étude de la jurisprudence portant sur les
autres articles à laquelle le colloque du CREDHO apporte chaque année sa
contribution.
|