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L'équité de la procédure en matière pénale

 

Curatelle et équité de la procédure

(arrêt Vaudelle du 30 janvier 2001)

 

par 

 

Claire D'URSO

Chef du Bureau des droits de l’Homme,

SAEI, Ministère de la Justice

 

 

Lorsque l’on est en charge de la mise en place et du suivi des mesures de protection des majeurs, on se trouve immanquablement confronté à la difficulté de trouver le point d’équilibre entre la protection de l’intéressé et celle de ses libertés.

 

Cette recherche s’avère extrêmement compliquée, dans le cadre du régime de conseil et de contrôle et non de représentation que constitue la curatelle.

 

L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Vaudelle c/France en est une illustration.

 

C’est M.Alain Vaudelle qui, en sa qualité de curateur de son père, M.Marcel Vaudelle, et en son nom propre saisit la Commission européenne des droits de l’homme le 7 août 1996 (il s’agit de l’ancienne procédure, modifiée depuis l’entrée en vigueur du Protocole 11 à la Convention).

 

Il indiquait dans ce courrier qu’alors même qu’il avait averti la Gendarmerie, en charge d’une enquête relative à une plainte pour attouchements sexuels à l’encontre de deux mineurs déposée contre son père, que ce dernier était placé sous curatelle, il n’avait pas été avisé des suites de la procédure.

 

Il avait en conséquence appris la condamnation de son père par le Tribunal correctionnel de Tours, au moment de l’arrestation de ce dernier à son domicile.

 

Il prétendait que le jugement de placement sous curatelle établissait pourtant que M. Marcel Vaudelle ne se trouvait plus en capacité d’exercer ses droits, état de fait confirmé, selon le requérant, par les expertises réalisées à la demande d’abord, du juge des tutelles du 16ème arrondissement de Paris, puis du juge des tutelles de Loches, qui concluaient à une “ faiblesse mentale ” et à “ la nécessité pour l’intéressé d’être aidé pour réaliser tous les actes de la vie civile ”.

 

Il soutenait en conséquence, qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 3 a) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que “ Tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ”.

 

Le requérant soulevait par ailleurs, la violation de l’article 6 § 3b) et d) de la Convention, aux motifs que dans le cadre de la procédure en appel de la décision du juge des tutelles de Loches l’ayant destitué de son mandat de curateur, il n’avait pas disposé du temps nécessaire à la préparation de sa défense et en conséquence, n’avait pas eu la possibilité d’obtenir la convocation de témoins à décharge.

 

La Commission n’interrogera cependant le Gouvernement français que sur le premier grief, en demandant si l’on pouvait considérer que les droits de la défense garantis par l’article 6 § 3 de la Convention et plus particulièrement 6 § 3 a), b) et c) avaient été respectés dans le cadre de la procédure pénale qui avait conduit à la condamnation de M. Marcel Vaudelle, dans la mesure où :

 

-d’une part, il avait été le seul informé de la procédure et convoqué à l’audience, à l’exception de son curateur,

-d’autre part, il n’avait pas participé personnellement, ni été représenté par un avocat ou son curateur à l’audience

-et où, enfin, le jugement de condamnation avait été signifié à lui seul, à l’exclusion du curateur, de sorte qu’il n’avait pas été fait appel dans les délais.

 

Afin de permettre un meilleur examen des questions ainsi soulevées par la Commission, il convient de rappeler le déroulement des faits et de la procédure en cause.

 

Le 16 février 1995, une plainte était déposée contre M. Marcel Vaudelle, domicilié à Sepmes, pour avoir à plusieurs reprises depuis le début de l’année 1995, commis des attouchements sexuels sur un mineur âgé de 8 ans.

 

Au cours de l’enquête, il apparaissait que M. Vaudelle s’était rendu coupable de faits similaires en 1992 et 1993, sur deux autres mineurs.

 

Entendu le 20 février 1995 par les services de la gendarmerie, M. Marcel Vaudelle reconnaissait s’être livré aux attouchements décrits sur deux des mineurs.

 

L’enquêteur notait dans le procès verbal de synthèse que M. Vaudelle se trouvait sous la “ tutelle ” de son fils Alain, domicilié à Paris, et y annexait l’ordonnance du juge des tutelles de Paris, en date du 7 novembre 1994, désignant ce dernier en qualité de mandataire spécial.

 

Il sera effectivement placé sous curatelle, aux termes d’un jugement rendu le 29 mars 1995 par le juge des tutelles du 16ème arrondissement de Paris.

 

Aussi et bien qu’il fut indiqué dans un certificat médical en date du 11 mars 1995 produit à la demande des services de la gendarmerie par M. Marcel Vaudelle que celui-ci ne présentait pas “ de trouble psychopathologique évident ”, un examen psychiatrique était ordonné par le Tribunal de grande instance de Tours.

 

M. Marcel Vaudelle n’a cependant pas déféré aux deux convocations successives adressées par l’expert.

 

Il était cité à comparaître par lettre recommandée dont il accusait réception le 7 octobre 1995, devant le Tribunal correctionnel de Tours.

 

En l’absence non justifiée du prévenu, le Tribunal correctionnel prononçait à son encontre, le 19 octobre de la même année, un jugement contradictoire à signifier le déclarant coupable d’atteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace et surprise sur des mineurs âgés de moins de quinze ans, le condamnant en répression à une peine d’emprisonnement de douze mois, dont huit avec sursis et mise à l’épreuve et allouant aux victimes des dommages et intérêts.

 

Cette décision sera signifiée à personne, le 5 décembre 1995.

 

En l’absence d’appel, dans le délai légal, M. Marcel Vaudelle, était incarcéré du 16 avril au 9 juillet 1996.

 

La défense du Gouvernement s’articulait autour de deux axes principaux :

 

-à titre principal, il soutenait que M. Marcel Vaudelle n’avait pas la qualité de victime, dans la mesure où le régime de protection de la curatelle ne constituait pas un régime de représentation et où, en conséquence, la situation juridique comme de fait de l’intéressé ne justifiait pas qu’il soit représenté à l’instance pénale, ni que son curateur soit destinataire du jugement de condamnation ;

-à titre subsidiaire, que le grief était manifestement mal fondé dans la mesure où les expertises comme les auditions versées au dossier attestaient de l’aptitude de l’intéressé à comprendre les enjeux de la procédure pénale ; que contrairement à ce que soutenait l’intéressé, on ne pouvait déduire du placement sous curatelle qui n’instituait pas un régime de représentation, une incapacité de l’intéressé à agir ; que par conséquent, si cette thèse était retenue par la Commission, M. Marcel Vaudelle n’avait pas épuisé les voies de recours internes, comme n’ayant pas interjeté appel de la décision le condamnant et en tant que tel, était irrecevable en sa demande.

 

Le requérant y répliquera en faisant valoir qu’il y avait eu rupture dans l’égalité des armes puisque M. Marcel Vaudelle se trouvait dans un état d’infériorité physique et mentale ; que d’ailleurs son placement sous curatelle en attestait ; qu’en effet, s’il avait été jugé que l’intéressé avait besoin d’une assistance pour ester en justice, en matière civile, cette assistance était a fortiori nécessaire, en matière pénale, dans laquelle les enjeux étaient encore plus importants.

 

Aux termes d’une décision en date du 23 mai 2000, la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle l’examen de la requête avait été transféré, en application de l’article 5§2 du Protocole n°11 à la Convention, déclarait recevable le premier grief relatif à la procédure pénale, après avoir reconnu la qualité de victime à M. Marcel Vaudelle et avoir considéré que la question de l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes devait être examinée en même temps que le fond ; en revanche, elle déclarait irrecevable le grief relatif à la procédure de destitution du curateur.

 

Elle décidait d’inviter les parties à présenter oralement, au cours d’une audience, des observations sur les questions complémentaires suivantes :

 

- Peut on considérer que les droits de la défense garantis par l’article 6 de la Convention ont été respectés dans le cadre de la procédure pénale, compte tenu de son déroulement ?

 

En particulier, ses droits ont ils été respectés alors que, déclaré majeur incapable et placé sous curatelle par un jugement indiquant qu’il ne pouvait “ ester en justice sans l’assistance de son curateur ” :

 

- Il a été le seul informé de la procédure pénale et convoqué à l’audience, à l’exclusion de son curateur ;

 

- Il n’a pas participé personnellement et n’a pas été représenté par un avocat ou par son curateur à l’audience alors qu’un jugement contradictoire a été prononcé contre lui ;

 

- Ce jugement dont il pouvait interjeter appel n’a été signifié qu’à lui seul, à l’exclusion de son curateur ?

 

On peut souligner l’évolution de la question posée par la Cour qui relève ici une incohérence entre l’ouverture d’un régime de protection, d’une part et la procédure suivie dans le cadre de la procédure pénale, d’autre part et non plus les conséquences de la procédure suivie pour l’intéressé, comme elle l’avait fait dans les premières questions posées au Gouvernement.

 

L’audience eut lieu, le 19 septembre 2000.

 

Aux termes d’un arrêt en date du 30 janvier 2001, la Cour européenne des droits de l’homme, à l’unanimité, dit qu’il y avait eu violation de l’article 6 de la Convention et que l’État défendeur devra verser au requérant la somme de 50 000 francs pour dommage moral.

 

Le raisonnement suivi par la Cour mérite que l’on s’y attarde.

 

En effet, la Cour commence par relever que les autorités judiciaires ont respecté les droits procéduraux du requérant et lui ont donné les moyens d’assurer le respect des droits garantis par l’article 6 de la Convention.

 

Ce dernier, souligne-t-elle s’est vu en effet, notifier à personne, à la fois, la citation à comparaître devant le tribunal et la signification du jugement.

 

Pour autant, la Cour va considérer que la procédure suivie n’a pas assuré l’effectivité des droits garantis par l’article 6.

 

La Cour indique en effet, que les circonstances de l’espèce appelaient des diligences supplémentaires de la part des autorités compétentes.

 

Dans le paragraphe 58 de l’arrêt elle relève ainsi la gravité des faits qui sont reprochés au requérant (agressions sexuelles) ; la gravité en conséquence, de la peine encourue par l’intéressé ; l’importance d’une connaissance de la psychologique du prévenu dans cette affaire et l’avis du jugement de curatelle qui avait été transmis au Procureur de la République.

 

Elle considère que les autorités compétentes, saisies de faits graves et informées de l’existence d’un régime de protection, auraient dû en tirer les conséquences dans leur façon de conduire la procédure.

 

La meilleure preuve de la nécessité d’une instruction particulière de l’affaire est, aux yeux de la Cour, que dans un premier temps, le parquet avait d’ailleurs ordonné une expertise psychiatrique du prévenu.

 

Or, “ .. en dépit de ce faisceau d’éléments…(et) alors même qu’il n’y a pas eu d’instruction préalable (puisqu’il s’agit d’une procédure sur citation directe), le jugement  est prononcé en l’absence du requérant, d’un représentant à l’audience et sans éclairage psychiatrique ”.

 

La Cour ne s’intéresse donc pas tant aux conséquences que la procédure suivie a eu sur les droits de la défense de M. Marcel Vaudelle, mais bien plutôt à la procédure qu’appelaient les circonstances de l’espèce.

 

De façon assez inhabituelle, elle suggère même des modalités de la procédure qui auraient permis une “ meilleure administration de la Justice ”.

 

Ainsi indique-t-elle dans le paragraphe 65 de l’arrêt que “ (les autorités compétentes) auraient pu.. sommer le requérant de se rendre à la convocation en vue de l’examen psychiatrique ainsi qu’à comparaître à l’audience et, à défaut, y faire assurer sa représentation par un curateur ou par un avocat ”.

 

L’opinion concordante du juge élu au titre de la France à la Cour, M. Jean Paul Costa montre clairement que la Cour s’est concentrée sur la façon dont a été conduite la procédure, plus que sur les conséquences effectives de celle-ci sur les droits de la défense de l’intéressé.

 

Au septième paragraphe de cette opinion concordante M. Costa indique, en effet, que “ dans le cas concret, on peut certes avoir de sérieux doutes sur le degré d’incapacité du requérant, dont l’altération des facultés a en tout cas fortement fluctué entre l’expertise du 16 septembre 1994, sur laquelle le juge des tutelles s’est fondé pour le placer sous le régime de la curatelle, et celle du 22 septembre 1996, demandée par un autre juge des tutelles, peu avant que le fils ne soit déchargé de ses fonctions de curateur ”.

 

Contrairement à ce que la Cour indique au paragraphe 55 de l’arrêt, il ne s’agit donc pas à notre sens d’une appréciation in concreto de l’espèce, mais bien plutôt, ainsi que le souligne l’opinion concordante de M. le juge Costa, d’une approche générale des effets en matière pénale, des régimes de protection.

 

La Cour s’est intéressée en quelque sorte, non pas à la violation des droits de la défense, sur laquelle elle ne conclut d’ailleurs pas, mais au processus qui aurait permis de s’assurer qu’il n’y avait pas eu de violation de ces droits.

 

Ce glissement s’explique par la présomption d’incapacité que la Cour tire de l’ouverture d’un régime de protection.

 

Or et c’est ce qui avait d’ailleurs fondé la demande de renvoi devant la Grande Chambre formée par le Gouvernement français, qui n’a pas été acceptée, il aurait pu être considéré que contrairement au régime de représentation que constitue la tutelle, la curatelle simple qui avait été ouverte au bénéfice de l’intéressé maintenait le majeur protégé en position d’acteur principal.

 

Dans le cadre de ce régime de protection, c’est en effet, le majeur protégé qui reçoit son courrier, ainsi que le juge des tutelles l’avait d’ailleurs rappelé au curateur dans la présente espèce, c’est également lui qui agit.

 

L’assistance du curateur est effectivement requise pour certains actes importants, tels qu’ester en justice en matière de droits non patrimoniaux, mais y compris dans ces hypothèses,  l’acte du majeur protégé qui aurait agit seul demeure valable, sauf à démontrer qu’il lui a préjudicié.

 

Il s’agit de conseiller ou de contrôler l’intéressé, non de le représenter, ainsi que le rappelle d’ailleurs l’article 508 du Code civil qui indique : “ lorsqu’un majeur pour l’une des causes prévues à l’article 490, sans être hors d’état d’agir lui-même a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous curatelle ”.

 

Il convient de souligner que ce régime de protection peut concerner des personnes oisives, prodigues ou encore intempérantes, dont la situation n’empêche pas qu’elles comprennent les tenants et aboutissants d’une procédure pénale menée à leur encontre, mais risque de mettre en péril leur situation financière.

 

Les textes relatifs à la protection des intérêts des majeurs protégés, contrairement à ceux relatifs aux mineurs, ne se sont intéressés en effet, qu’à l’aspect patrimonial de la protection.

 

C’est précisément la raison de la difficulté d’articulation entre le régime de protection et la procédure suivie au pénal à l’égard de l’intéressé, à laquelle s’est trouvée confrontée la Cour, dans la mesure où l’incapacité en matière “ civile ” ne correspond pas forcément à une incapacité en toute matière.

 

Le cas de M. Marcel Vaudelle en constitue une parfaite illustration puisque l’on peut relever l’attitude fort active du requérant qui s’est présenté devant la gendarmerie pour audition, s’est expliqué très clairement auprès du juge des tutelles en expliquant qu’effectivement il avait eu la convocation du Tribunal correctionnel, mais qu’il n’en avait pas informé le curateur parce qu’il s’agissait d’affaires privées et enfin qui s’est plaint de l’attitude du curateur auprès du juge des tutelles en l’accusant de détournements de fonds.

 

Il convient en outre d’insister sur le fait, comme le souligne d’ailleurs la Cour elle-même, que la comparution personnelle du prévenu est un élément essentiel du processus pénal ;  une attitude distincte, lorsque le prévenu bénéficie d’un régime de protection pourrait laisser entendre que l’ouverture d’un régime de protection implique une non-responsabilité pénale, ce qui n’est pas le cas.

 

De façon plus générale, on peut se demander si cette présomption d’incapacité posée par la Cour ne va pas à l’encontre de l’objectif poursuivi par le régime de protection instauré.

 

Il s’agit en effet, dans le cadre d’un régime de protection aussi léger que la curatelle simple de poser le principe du maintien d’une capacité sous contrôle de l’intéressé ; ce n’est que si le contrôle permet de déceler que l’intéressé agit à l’encontre de son propre intérêt, que l’intervention d’un tiers se trouve justifiée.

 

C’est de fait un contrôle a posteriori qui s’exercera d’ailleurs, puisque le majeur protégé demeure destinataire dans le cadre de ce régime de protection de son courrier.

 

On peut comprendre que la Cour ait voulu insister sur la nécessité d’un contrôle a priori de la capacité en matière pénale, ce que l’on peut regretter c’est qu’en n’abordant pas les conséquences de cette absence de contrôle a priori dans le cas d’espèce, elle ait fait fi de la situation particulière de l’intéressé, ce qui peut apparaître contraire à l’objectif de protection visée.

 

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