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Actes de la Sixième Session d'information (arrêts rendus en 1999, Cahiers du CREDHO n° 6)

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L’application de la Convention européenne
des droits de l’Homme au droit de la concurrence

 

par

 

Guy CANIVET
Premier Président de la Cour de cassation

 

 

 

La mise en œuvre du droit de la concurrence peut intéresser diverses dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme. Par exemple, au stade de l’enquête, peut se poser la question de l’application de l’article 8 au regard des pouvoirs d’investigation conférés aux agents de l’Administration par application des articles 47 et 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Mais ces questions ne présentent aucune originalité par rapport aux enquêtes administratives, fiscales et douanières. 

 

La plupart des questions se rattachent à l’application de l’article 6 aux procédures de décision prises pour l’application du droit de la concurrence. A cet égard, il faut rappeler que ce droit peut être mis en œuvre de diverses manières. Par le juge pénal, s’agissant des dispositions pénales qui subsistent dans l’ordonnance du 1er décembre 1986, par le juge civil, saisi au fond ou en référé par toute personne qui entend faire trancher un conflit de concurrence sur le fondement du droit interne ou communautaire, par le juge administratif, dans le domaine du droit public de la concurrence reconstitué par les récentes décisions du tribunal des conflits et du Conseil d’Etat, enfin, par le Conseil de la concurrence, qui tient des dispositions des articles 11 et 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le pouvoir d’examiner si les pratiques dont il est saisi entrent dans le champ d’application de l’article 7 (ententes), 8 (abus de domination) ou 10-1 (prix abusivement bas) et de prononcer, le cas échéant, des mesures conservatoires, d’infliger des sanctions ou d’édicter des injonctions, ses décisions étant alors soumises à recours devant la Cour d’appel de Paris, en tant que juridiction spécialisée de l’ordre judiciaire.

 

Dans les trois premiers cas, il ne s’agit que de difficultés relatives à l’application de l’article 6 de la CEDH par le juge judiciaire ou administratif, sans particularité spécifique au droit de la concurrence. En revanche, la question de l’application de l’article 6 de la CEDH à la mise en œuvre d’un pouvoir de sanction par le Conseil de la concurrence pose des questions originales[1].

 

A ce propos, on peut dire que si une longue évolution de la jurisprudence laisse entrevoir des certitudes, subsistent encore de nombreux doutes quant à l’incidence des garanties de l’article 6 de la Convention sur la procédure de sanction administrative.

 

 

I • Le chemin des certitudes

 

 

Long et sinueux a été le parcours jurisprudentiel d’application de l’article 6 de la CEDH à la répression administrative du droit de la concurrence, qui a connu bien des errements avant que des arrêts récents de la Cour de cassation, puis du Conseil d’Etat, affirment des principes certains.

 

A • Le parcours

 

Avant de reconnaître l’application des garanties de la CEDH à la procédure du Conseil de la concurrence, ont longtemps été opposées des réponses d’éviction consistant à affirmer, par exemple, que le droit économique n’intéresse pas les droits de l’Homme, que les dispositions de la Convention ne s’appliquent ni aux personnes morales ni aux entités économiques que sont les entreprises, que le Conseil de la concurrence n’est pas une juridiction et que ses décisions, purement administratives, ne relèvent ni de la matière civile ni de la matière pénale.

 

Mais il n’est plus aujourd’hui contesté que les dispositions de l’article 6 de la CEDH, dans ses trois paragraphes, intéressent la procédure de sanction du Conseil de la concurrence. Le mécanisme qui a permis d’y conduire a été la reconnaissance de l’autonomie des notions de tribunal et d’accusation en matière pénale, pour l’application de la Convention. Dès lors, le principe est simple : les sanctions prévues par l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 sont, par leur fonction et leur importance, assimilables à la matière pénale et les décisions du Conseil de la concurrence qui les prononcent, tranchent d’une accusation que constituent les griefs notifiés. Donc quelle que soit la nature, en l’espèce administrative, de l’autorité qui les prononce, les garanties du procès équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense trouvent à s’appliquer[2].

 

D’abord pratiqué par le juge judiciaire - les premières décisions en ce sens ont été rendues par la Cour d’appel de Paris et remontent à 1994[3] - ce raisonnement est désormais admis par le juge administratif depuis les arrêts ostensibles du 3 décembre 1999[4].

 

B • L’aboutissement concerne le procès équitable et la présomption d’innocence 

1 • Le paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention s’applique à la procédure de sanction du Conseil de la concurrence 

 Ce fut la protection de la présomption d’innocence, prévue par le paragraphe 2 de l’article 6 de la Convention, qui fut la première reconnue, d’abord par des arrêts rendus sur des recours formés contre des décisions de sanctions administratives pécuniaires prises par la Commission des opérations de bourse, puis par les pourvois en cassation formés contre ces arrêts[5]. L’application de la garantie est totale : conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la violation est constituée, dès lors qu’avant toute décision, l’autorité publique a pris position sur la culpabilité de la personne poursuivie, que cette autorité publique ait ou non ensuite participé à la décision de sanction[6].

 

Récemment, un arrêt de la Cour d’appel de Paris a examiné, sans la retenir, une allégation de violation de la présomption d’innocence par le Conseil de la concurrence constituée par des déclarations d’un vice-président du Conseil, lors d’un colloque, sur une procédure en cours et avant la décision de sanction.

 

2 • Le paragraphe § 1 de l’article 6 s’applique à la procédure de sanction du Conseil de la concurrence        

Les garanties du procès équitable depuis longtemps revendiquées dans les recours formés contre les décisions de sanction du Conseil de la concurrence ont ensuite été reconnues[7].

 

La question s’est d’abord posée à propos de la présence du rapporteur au délibéré du Conseil. Ce rapporteur a des pouvoirs d’investigation importants puisqu’il dispose de prérogatives d’enquêtes identiques à celles des fonctionnaires habilités du ministère de l’Economie[8] et que, comme eux, il peut procéder à des visites domiciliaires, au besoin effectuées sous la contrainte[9]. Il décide des mises en accusation puisque c’est lui qui établit les griefs et les examine au regard des moyens de défense opposés par les parties[10] ; c’est à partir de ces griefs que le Conseil de la concurrence prend ses décisions[11]. Ce rapporteur n’est pas membre de la formation de décision, toutefois le dernier alinéa de l’article 25 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit que lui-même et le rapporteur général (qui organise et dirige l’activité des rapporteurs) assistent au délibéré sans voix délibérative.

 

Dans son rapport de 1992, la Cour de cassation avait souhaité la suppression de cette disposition qui, selon ce qu’elle relevait “n’apparaissait guère en harmonie avec le principe de la contradiction comme avec l’égalité des armes entre les parties”. L’assistance, même sans voix délibérative du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil, est en effet contraire à l’impartialité qui oblige, d’une part, à la séparation des autorités de poursuite et de jugement, d’autre part, à écarter de la prise de décision les autorités d’instruction lorsqu’elles ont des pouvoirs d’investigation significatifs.

 

Les modifications suggérées par la Cour de cassation, conformément aux dispositions des articles R 131-13 du Code de l’organisation judiciaire, n’ayant pas été apportées, et après quelques hésitations de la chambre commerciale[12], l’assemblée plénière de la Cour de cassation a, finalement, par un arrêt du 2 février 1999[13], annulé les sanctions prononcées selon cette procédure non conforme à l’article 6 de la CEDH par la Commission des opérations de bourse, avant que la chambre commerciale ne fasse application de la jurisprudence ainsi clairement dégagée, dans une procédure de sanction du Conseil de la concurrence, par un arrêt du 5 octobre 1999[14] qui énonce : “La participation du rapporteur au délibéré, serait-ce sans voix délibérative, dès lors que celui-ci a procédé aux investigations utiles pour l’instruction des faits dont le conseil est saisi est contraire aux principes de l’article 6-1 de la CEDH, qu’il en est de même de la présence du rapporteur général, l’instruction du rapporteur étant établie sous son contrôle.”

 

Si la jurisprudence du Conseil d’Etat, telle qu’elle résulte des arrêts du 3 décembre 1999, est plus nuancée, l’arrêt qui écarte une cause de nullité tirée de l’article 6 de la CEDH, en raison de la participation du rapporteur du Conseil des marchés financiers au processus de décision, au motif que celui-ci “qui n’est pas à l’origine de la saisine, ne participe pas à la formulation des griefs ; qu’il n’a pas le pouvoir de classer l’affaire ou, au contraire d’élargir le cadre de la saisine, que les pouvoirs d’investigation dont il est investi pour vérifier la pertinence des griefs et des observations de la personne poursuivie ne l’habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies ni à procéder à toute autre mesure de contrainte au cours de l’instructionconduirait, a contrario, à l’annulation des décisions du Conseil de la concurrence puisque, en ce cas, le rapporteur établit les griefs et dispose pour en vérifier la pertinence et les observations de la personne poursuivie, de larges pouvoirs d’enquête lui permettant de procéder à des perquisitions et saisies[15] .

 

S’est également posée la question du respect du délai raisonnable par le Conseil de la concurrence. De multiples décisions constatent, en effet, que le Conseil de la concurrence ne s’est pas prononcé dans un délai raisonnable. Du fait du nombre des saisines au regard des moyens dont il dispose, le Conseil connaît un phénomène d’encombrement, de sorte que dans de nombreux cas il n’est pas en mesure de faire des actes de constatation ou de poursuite dans le délai de trois ans prévu par l’article 27 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, considéré comme un délai de prescription de l’infraction. Ainsi se reproduisent les carences qui avaient affecté les juridictions pénales et justifié, pour des raisons d’efficacité de la répression, la création d’une procédure de sanction administrative.

 

Selon la Cour d’appel de Paris, la sanction de la violation du délai raisonnable n’est pas la nullité de la décision mais seulement la réparation du préjudice éventuellement subi du fait du retard à décider, sauf s’il est démontré que le délai a affecté les garanties de la défense par l’impossibilité pour les personnes poursuivies de rassembler les éléments de preuve permettant de combattre les griefs de pratiques anticoncurrentielles[16]. Un tel raisonnement, qui prive d’effets réels la constatation du dépassement du délai raisonnable, est contestable. Plus adaptées sont les décisions des juridictions communautaires qui, dans de semblables situations, réduisent le montant des sanctions prononcées à un niveau qui tient compte de l’exigence d’accorder au requérant une satisfaction raisonnable[17].

 

 

II • Les champs du doute

 

 

Si la jurisprudence a permis de nécessaires clarifications en ce qui concerne l’application des paragraphes 1 et 2 de l’article 6 de la Convention, il subsiste néanmoins de nombreuses incertitudes d’abord quant à d’éventuelles restrictions des principes du procès équitable devant le Conseil de la concurrence, et quant à l’application des garanties de la défense.

 

A • Le Conseil de la concurrence n’est pas tenu de respecter toutes les garanties de l’article 6, § 1

 

Soucieuse de ménager aux Etats la possibilité de recourir à la répression administrative, notamment pour des raisons d'efficacité, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a assoupli ses exigences en estimant qu’elles pouvaient être satisfaites par l'intervention "a posteriori" d'un tribunal indépendant et impartial [18].

 

La juridiction européenne estime, en effet, que rien dans les exigences de la Convention, ne s'oppose à ce qu'une autorité administrative soit investie du pouvoir d'infliger des sanctions assimilables à des sanctions pénales, sans respecter toutes les garanties prévues par le paragraphe 1 de l’article 6, à la condition qu'il existe contre les décisions de cette autorité administrative un recours juridictionnel "effectif" devant un tribunal doté d'une "plénitude de juridiction" et offrant toutes les garanties du procès équitable[19].

 

Ainsi, le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme quant à l'applicabilité de l'article 6 à des procédures de sanction administrative est précisément de prendre acte du caractère non juridictionnel de l'autorité investie du pouvoir préalable d'infliger des sanctions et d'en tirer les conséquences.

 

C'est ce raisonnement qu'a tenu la Commission européenne des droits de l’Homme en ce qui concerne la procédure administrative française permettant, avant l'ordonnance du 1er décembre 1986, de prononcer des sanctions administratives à l'encontre des auteurs de pratiques anticoncurrentielles[20] .

 

Dès lors, il est nécessaire de distinguer quelles garanties le Conseil est précisément tenu de respecter.

 

Plusieurs décisions ont admis qu’il pouvait ne pas statuer en audience publique. Les décisions en ce sens concernant d’abord la Commission des opérations de bourse[21] ont été transposées au Conseil de la concurrence. La restriction est au demeurant difficilement explicable puisque dès lors qu’un recours sera formé, l’audience devant la Cour d’appel de Paris sera nécessairement publique. En outre, le Conseil d’Etat a annulé une décision de la Commission bancaire, précisément en raison de la non-publicité des débats. Mais quel est le fondement de la distinction entre les garanties dont la violation entraîne la nullité et celles qui ne sont pas sanctionnées dès lors qu’elles sont couvertes par la procédure de recours ? La ligne de partage est, en l’état, difficilement perceptible[22]. En toute hypothèse, ce raisonnement n’intéresse que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 6. La violation des garanties prévues aux paragraphes 2 et 3 entraîne donc nécessairement l’annulation.

 

La tolérance n’est, en outre, possible qu’à la condition qu’il existe contre l’autorité administrative qui prononce la sanction un recours juridictionnel "effectif" devant un tribunal doté d'une "plénitude de juridiction" et offrant toutes les garanties du procès équitable”.

 

On admettra que les recours en annulation et en réformation devant la Cour d’appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence réunissent ces conditions puisque la juridiction a le pouvoir de réexaminer l’appréciation des pratiques faites, l’exacte application du droit, et le montant de la sanction prononcée par le Conseil de la concurrence. Telle est la plénitude de juridiction au sens de la Convention.

 

Par une autre voie, la Cour d’appel de Paris rejoint le même résultat lorsque, s’estimant investie d’un pouvoir de plein contentieux, elle se prononce au fond après avoir annulé la décision du Conseil de la concurrence[23]. Cette technique, tirée d’un pouvoir classique du juge administratif dans certaines catégories de recours[24], notamment contre les décisions des autorités administratives indépendantes, est exigeante puisqu’elle oblige le juge à examiner l’ensemble de l’affaire, à partir des griefs notifiés, comme s’il statuait initialement, sans tenir compte de la décision annulée.

 

Il n’est pas contestable qu’il ne peut le faire que si le motif de l’annulation n’affecte pas la procédure antérieure à la décision, la Cour d’appel étant sans pouvoir pour accomplir des actes d’instruction, d’établissement et de notification des griefs que seul le Conseil peut effectuer[25].

 

B • Le Conseil de la Concurrence est tenu de respecter les dispositions du paragraphe 3 de l’article 6 de la CEDH relatif aux garanties de la défense en matière pénale.

 

1 • Le caractère contradictoire de la procédure

 

Certes, la Cour d'appel et la Cour de cassation ont eu fréquemment l'occasion de se prononcer sur des moyens tirés de la violation du principe de contradiction par le Conseil de la concurrence et, on le sait, en cette matière, un tel principe participe des garanties de la défense[26].

 

Toutefois, ces moyens ne sont généralement pas tirés du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention mais des prescriptions du droit interne[27].

 

Il est vrai que le respect des garanties de la défense et le principe de contradiction ne manquent pas de fondement en droit interne puisqu'ils sont tout à la fois considérés comme des principes à valeur constitutionnelle en tant que principes fondamentaux reconnus par les lois de la République [réaffirmés par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution de 1958][28] ou comme des principes généraux du droit et qu'ils sont, en outre, spécialement prévus par les articles 18 et 21 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

 

a) L'accès à la procédure

 

A cet égard, la Cour d'appel de Paris puis la Cour de cassation ont été amenées à préciser les modalités de communication de la procédure lorsque la saisine du Conseil donne lieu à une notification des griefs[29]. Elles ont ensuite précisé l'obligation d'accès au complet dossier en l'absence de notification des griefs, lorsque le Conseil prononce une décision d'irrecevabilité ou de non-lieu. En ce cas, la Cour d'appel a jugé que le Conseil ne pouvait se prononcer sans que la partie saisissante ait eu accès à toutes les pièces du dossier[30].

 

b) La possibilité de se défendre

 

1°) Le temps suffisant pour se défendre

Elles ont aussi rappelé que le principe de contradiction ne se limitait pas à l'accès au dossier mais qu'il comprenait aussi la possibilité de disposer d'un temps suffisant pour préparer sa réponse[31].

 

L’un de ces arrêts sanctionne la violation du principe du contradictoire dans une procédure de vérification des injonctions, mais le problème peut aussi se poser dans les procédures d'urgence, notamment en cas de demande de mesures conservatoires.

 

2°) L'identification des fondements de l'accusation

La Cour de cassation a été conduite à rappeler que la décision ne pouvait se fonder que sur des faits visés dans la notification des griefs[32], sur des documents soumis à la libre discussion des parties[33] et sur les qualifications retenues dans la notification des griefs[34].

 

Des contestations ont été également été soulevées, en référence au principe de contradiction, lorsqu'à l'oral, le rapporteur prend une distance telle avec les termes de la notification des griefs ou du rapport que le fondement de l'accusation en est changé.

 

Toutes ses applications sont classiques et il n'est pas besoin d'y insister.

 

3°) La présence du rapporteur au délibéré

En outre, c'est au regard du respect du principe de contradiction que la Cour de cassation a, dans son rapport pour l'année 1992, suggéré l'abrogation de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui prévoit la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil[35].

 

4°) Le droit d'être informé de l'accusation dans le plus court délai

On pouvait encore se demander au regard de la jurisprudence de la Cour européenne si le point a) du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention n'implique pas un droit d'accès au dossier préalablement à la notification des griefs.

 

Cette disposition donne, en effet, à la personne poursuivie le droit "d'être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui".

 

Mais la Cour de cassation a estimé que ce droit d'accès au dossier n'avait pas à être ouvert avant la notification des griefs qui constitue l'acte d'accusation[36] et qu’il ne pouvait se plaindre d’une notification tardive dès lors que les délais de réplique prévus par l’ordonnance avaient été respectés[37].

 

Dès lors, bien que le moyen ne visait pas expressément l'article 6, paragraphe 3, on peut considérer cette question réglée, du moins pour les juridictions nationales. 

 

2 • Le droit de confrontation

 

En revanche, la question du droit de confrontation a été clairement posée à la Cour de cassation.

 

Ce droit résulte de l'article 3, d) de l'article 6 de la Convention qui donne à tout accusé le droit "d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge".

 

A cet égard, la Cour de cassation a estimé : “ Qu'aucune des règles qui régissent les enquêtes ne fait obligation aux agents qui y procèdent ou au rapporteur du Conseil de confronter immédiatement les responsables d'entreprises impliquées avec les auteurs de déclarations qui les mettent en cause ou de les interroger sur des pièces appréhendées chez des tiers ; qu'il ne peut en être tiré ni violation du principe du contradictoire ni atteinte aux droits de la défense, dès lors que les observations des entreprises concernées ont été recueillies en temps utile, après communication de l'ensemble du dossier, lors de la notification de ces griefs conformément aux dispositions des articles 18 et 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986”[38].

 

La question peut, par conséquent, sembler résolue, au moins pour les juridictions nationales.

 

Il serait toutefois utile de se reporter à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur l'application de la même disposition de la Convention qui a posé en principe que, sauf exception dont il leur appartient de préciser les causes, les juges répressifs sont tenus, lorsqu'il en sont légalement requis, d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge qui n'ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu[39].

 

 

Conclusions   

 

 

On voit, par conséquent, que si l'on pousse jusqu'à son point ultime la logique de l'article 6 de la Convention dans ses multiples applications, on aboutit finalement à condamner la possibilité de faire prononcer une sanction par une autorité administrative indépendante.

 

Or, tel n'est pas la volonté des institutions européennes qui, à plusieurs reprises, ont rappelé la légitimité de la démarche des Etats qui, pour des raisons d'efficacité de la répression, décident de confier un pouvoir de sanction à une autorité administrative.

 

On peut difficilement contester que, depuis sa création, le Conseil de la concurrence a répondu à cet objectif d'efficacité en ce qui concerne le maintien d'une libre concurrence sur le marché et que, sans lui, le droit de la concurrence ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui.

 

Une autre logique, plus mesurée, consiste à invoquer les prescriptions du procès équitable pour adapter les dispositions des textes internes, là où sont insuffisantes les garanties attachées à la procédure de sanction administrative, par éviction des dispositions contraires à la Convention.

 

L'examen de la jurisprudence que nous avons évoquée montre que c'est finalement cette attitude mesurée que les juridictions ont adoptée. Doit-on raisonnablement le regretter ?

 

[1] G. CANIVET, “La procédure de sanction administrative des infractions boursières à l’épreuve des garanties fondamentales”, Revue de jurisprudence de droit des affaires, 1996, p. 423.
[2]
Cass. com. 9 avril 1996, Bull. civ., IV, n° 115.
[3]
CA Paris, 12 janvier 1994. - Cass. com. 9 avril 1996, Bull. civ., IV, n° 115.
[4]
Petites affiches, 14 décembre 1999, n° 248, p. 4.
[5]
Cass. com., 18 juin 1996, Conso-Ciments français, Bull. civ. IV, n° 179 - Cass. com. 1er décembre 1998, Petites affiches,  n° 11, du 15 janvier 1999.
[6]
CEDH., 10 février 1995, Allenet de Ribemont, RTDH, 1995, p. 657.
[7]
Cass. com. 30 mai 1995, Bull. civ., IV, n° 160.
[8]
Article 45, alinéa 2,  de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
[9]
Articles 47 et 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
[10]
L’article 18 du décret du 29 décembre 1986 prévoit “Pour l’application de l’article 21 de l’ordonnance, la notification des griefs retenus par le rapporteur et la notification du rapport sont faites par le président. Le rapport contient l’exposé des faits et griefs finalement retenus par le rapporteur à la charge des intéressés, ainsi qu’un rappel des autres griefs”.
[11]
Article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.
[12]
Cass. com., 6 octobre 1992, Bull. civ., IV, n° 294. - 27 janvier 1998, Bull. civ., IV, n° 42.
[13]
Cass. ass. plén., 5 février 1999, JCP, éd. G, II, 10 060.

[14]
Cass. com., 5 octobre 1999, Revue de jurisprudence de droit des affaires, 11/99, n° 1254.
[15]
Il en serait de même pour la Commission des opérations de bourse dont le rapporteur, membre du collège, est habilité à “procéder, avec les services de la commission, à toutes diligences utiles”, y compris les visites domiciliaires prévues par l article 5 B, alinéa 2.
[16]
CA Paris, 8 septembre 1998, BOCCRF n° 18/98.
[17]
CJCE., 17 décembre 1998, Baustahlgewebe GmbH c. Commission des Communautés européennes, aff. C-185/95 P, Rec., I, 8417.
[18]
CEDH, Oztürk  c. RFA, 21 février 1984.
[19]
   CEDH, Le Compte, Van Leuven et de Meyere  c. Belgique, 23 juin 1981, Série A, n° 43 ; Belilos c. Suisse, 29 avril 1988, Série A, n° 132.
[20]
Société Stenuit c. France, requête n° 11598/85, rapport adopté le 30 mai 1991 ; F. SUDRE, “ L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 27 février 1992, Société Stenuit c/France, à propos des droits de l'entreprise ”, JCP éd. E, 1992, p. 26 ; M.S.E. HELALI, “ La Convention européenne des droits de l'Homme et les droits français et communautaires de la concurrence ”, RTDE, 1991, p. 335.
[21]
Cass. com. 9 avril 1996, Bull. civ., IV, n° 115.
[22]
La Cour européenne des droits de l’Homme estime que lorsque le pouvoir de répression est confié à un autorité autre qu’une juridiction, les garanties de l’article 6 doivent néanmoins être respectées au stade de l’instruction dans la mesure où leur violation initiale risquerait de “compromettre gravement le caractère équitable du procès” (CEDH 24 novembre 1993, Imbroscia, Série A, n° 275).
[23]
CA Paris, 15 juin 1999, JCP, éd. E, p. 1966 : Y. GAUDEMET, “ Le pouvoir de réformation de la Cour d’appel de Paris dans le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence ”.
[24]
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchestien, 7éme éd., 1998, n° 259.
[25]
CA Paris, 2 juillet 1999, Petites affiches, 15 octobre 1999, note C. DUCOULOUX-FAVARD.
[26]
Voir par exemple Cass. com. 14 février 1995, Bull. civ., IV, n° 48. - 5 mars 1996, Bull. civ., IV, n° 76. - 15 octobre 1996, Bull. civ., IV, n° 242.
[27]
Voir arrêts précités.
[28]
Cons. const. décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976, Rec. p. 39 ; n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; B. GENEVOIS, “ La jurisprudence du Conseil constitutionnel ”, p. 362.
[29]
Cass. com. 14 janvier 1992, B. 15, p. 11, Bureau Véritas ; Cass. com. 10 mars 1992, B. n° 111, p. 81, France Loisirs.
[30] CA Paris, 1er ch. sec. conc. 25 février 1988 : BOCCRF, 19 mars 1988.
[31]
10 mars 1988 : BOCCRF, 19 mars 1988 - 26 mai 1988 : BOCCRF, 15 juin 1988. - 30 juin 1988, BOCCRF...).
[32]
Cass. com., 21 juin 1992, Bull. civ., IV, n° 233. - 5 mars 1996, Bull; civ., n° 76, . - 27 janvier 1998, Bull. civ. N ° 42.
[33]
Cass. com., 15 octobre 1996, Bull. civ., IV, n° 242.
[34]
Cass. com. 21juin 1994, précité.

[35]
Cour de cassation, rapport de 1992, précité.
[36]
Cass. Com. 6 octobre 1992, B. 294, p. 206.
[37]
Cass. com., 8 décembre 1992, Bull. civ., n° 404.
[38]
Cass.  com. 8 décembre 1992, Bull. civ., IV, n° 404.
[39]
Cass. crim. 22 mars 198, B. n° 144, p. 369. - 19 septembre 1989, B. n° 321. - 24 octobre 1989, B. n° 373. - 4 janvier 1990, B. n° 4, p. 6. - 8 février 1990, B. n° 70, p. 183. - 27 juin 1990, B. n° 264, p. 676. - 10 mars 1992, b. n° 105, p. 272. - 25 mai 1992, b. n° 208, p. 577. 13 janvier 1993, b. n° 18, p. 35. - 3 février 1993, b. n° 57, p. 132. - 7 juin 1993, n° 201, p. 502. - 26 janvier 199', B. n° 35, p. 68. - 26 octobre 1994, n° M 93-84.493.

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