L'équité de la procédure
en matière pénale
Contumace
Recours en cassation
et équité de la procédure
(arrêt Krombach du 13 février
2001)
par
Olivier BACHELET
ATER à l'Université de Paris I
1.–
Un an après
avoir donné lieu à un arrêt important de la Cour de justice des Communautés
européennes (CJCE),
l’affaire Krombach a mené la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)
à une remise en cause de l’une des plus anciennes institutions procédurales
françaises : la procédure de contumace.
2.–
En l’espèce, M. Krombach, ressortissant allemand résidant en
Allemagne, avait fait l’objet de poursuites en France – sur le fondement de la
compétence personnelle passive – pour violences volontaires ayant entraîné la
mort sans intention de la donner. Au cours de l’instruction, il refusa de
déférer aux convocations du magistrat instructeur en invoquant le non-lieu
prononcé pour les mêmes faits par les autorités allemandes. Néanmoins, au terme
de l’instruction, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris prononça
un arrêt de renvoi fondé sur la qualification criminelle d’homicide volontaire
et délivra une ordonnance de prise de corps. Ne s’étant pas présenté dans le
délai qui lui était assigné, le requérant se trouva alors en état de contumace.
A l’audience de la Cour d’assises de Paris, l’avocat de M.
Krombach demanda à être autorisé à représenter le requérant en son absence – par
application de l’article 6 de la Convention – et à exposer les moyens relatifs à
l’autorité de la chose jugée. La Cour écarta ces conclusions en se fondant sur
l’article 630 du Code de procédure pénale (CPP) qui interdit à l’avocat de
représenter l’accusé absent. Elle condamna, par la suite, le requérant à 15
années de réclusion criminelle pour violences volontaires ayant entraîné la mort
sans intention de la donner. En outre, par arrêt civil – également rendu par
contumace –, la Cour infligea au requérant une condamnation au paiement des
sommes de 250 000 francs, au titre du préjudice moral subi par le père de la
victime, et de 100 000 francs, au titre des frais et dépens. Finalement, le
président de la Cour de cassation écarta les pourvois formés contre ces deux
arrêts en se fondant sur l’article 636 du CPP qui ferme au contumax l’accès à la
Cour suprême.
3.–
Seul l’arrêt civil donna lieu à la décision de la CJCE. Celle-ci
fut, en effet, saisie par l’Allemagne d’une question préjudicielle relative à la
demande d’exécution de la condamnation civile du requérant. Il s’agissait alors
de savoir si le refus d’entendre la défense de l’accusé pouvait être considéré
comme contraire à l’“ ordre public de l’Etat requis ” au sens de l’article 27
(1°)
de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence
judiciaire et l’exécution des décisions de justice en matière civile et
commerciale. Se référant explicitement à la jurisprudence des organes de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales (CESDH),
la Cour de Luxembourg a répondu par l’affirmative, ce qui mena au rejet par les
autorités allemandes de la demande d’exequatur de l’arrêt civil litigieux.
4.–
Devant la CEDH, M. Krombach soumit le volet pénal de l’affaire en
invoquant une violation de l’article 6 de la Convention ainsi que de l’article 2
du Protocole n° 7, aux motifs qu’en qualité de contumax le Code de procédure
pénale français lui interdisait, d’une part, d’être représenté par un avocat
devant la Cour d’assises et, d’autre part, de former un pourvoi en cassation à
l’encontre de l’arrêt de condamnation rendu par contumace.
La question posée à la Cour était donc celle de la
proportionnalité des mesures françaises destinées à assurer la présence de
l’accusé lors de son procès. La Cour y répond en deux temps, étudiant
successivement les deux garanties mises en cause : le droit au recours (I)
et le droit à être défendu (II).
I. Le droit
au recours
5.–
La réforme de la procédure criminelle issue de la loi du 15 juin 2000 n’étant
pas encore intervenue au moment des faits, les voies de recours ouvertes au
requérant apparaissaient particulièrement limitées. En effet, seule pouvait être
exercée la purge de la contumace, le pourvoi en cassation étant exclu par le CPP.
Cette situation a donc mené le requérant à alléguer une violation du droit à un
recours devant une juridiction supérieure – prévu par l’article 2 du Protocole
n° 7 – (B) alors que le gouvernement français affirmait que la voie de la purge
satisfaisait cette exigence (A).
A • La
purge de la contumace
6.–
L’argumentation du gouvernement français envisageait la purge de la contumace de
deux manières. La première consistait à affirmer que le requérant n’avait pas
satisfait à l’exigence de l’article 35, paragraphe 1, de la Convention, la purge
de la contumace constituant une voie de recours à épuiser préalablement à la
saisine de la Cour de Strasbourg. La seconde approche reposait sur l’idée selon
laquelle la purge renverrait au “ néant juridique ”
la condamnation prononcée par contumace et permettrait un nouvel examen de
l’affaire répondant aux exigences européennes.
7.–
La Cour n’est, toutefois, convaincue par aucun de ces arguments.
Dans un premier temps, elle écarte l’exception préliminaire du gouvernement en
considérant que la purge de la contumace “ ne peut être assimilée à une ‘voie de
recours’ ”
au sens de l’article 35, paragraphe 1, de la Convention dans la mesure où elle
n’est pas susceptible de remédier à la situation dont se plaint le requérant. En
effet, le principe de subsidiarité ménagé par la Convention au profit des Etats
parties n’impose que l’épuisement des voies de recours à la fois relatives aux
violations incriminées, disponibles et adéquates. Or, “ pas plus le nouveau
procès que l’examen par le juge de cassation auquel ce nouveau procès pourra
donner lieu ne permettront de contester le jugement de contumace lui-même et ses
défaillances au regard du procès équitable ”.
La purge menant à l’anéantissement de la première condamnation et à la reprise
ab initio
de la procédure de jugement, le requérant n’aurait pas eu la possibilité de
faire contrôler la légalité du refus de la Cour d’assises de laisser plaider les
avocats de la défense. Dès lors, la purge de la contumace ne peut être
considérée comme une voie de recours à épuiser avant la saisine de la Cour
européenne.
Cette solution est une application classique d’une jurisprudence
déjà bien établie reposant sur le caractère adéquat des voies de recours à
épuiser.
Si notre arrêt ne semble pas prêter le flanc à la critique sur ce point,
quelques décisions récentes de la Cour témoignent toutefois d’une appréciation
parfois malencontreuse de la portée de certains recours internes.
8.–
En second lieu, la Cour rejette l’argumentation sur le fond développée par le
gouvernement en soulignant que “ la purge de la contumace n’a une incidence sur
l’exercice effectif des droits de la défense que dans l’hypothèse d’une
arrestation de l’intéressé ” aux termes de l’article 639 du CPP. Or, “ il ne
saurait être question d’obliger un accusé à se constituer prisonnier pour
bénéficier du droit d’être rejugé dans des conditions conformes à l’article 6 de
la Convention ”.
Ainsi, la Cour prive la purge de la contumace de toute
“ légitimité européenne ”
et renvoie à l’arrêt
Khalfaoui
ayant constaté l’inconventionnalité de l’obligation de mise en
état,
abrogée par la loi du 15 juin 2000. Notre arrêt présente, néanmoins,
l’originalité d’étendre cette jurisprudence à la procédure criminelle, ce qui a
déjà été souligné dans la décision
Papon
et a mené à la recevabilité de la requête de l’ancien fonctionnaire de Vichy. En
outre, la Cour va ici plus loin que ses précédents arrêts en assimilant
l’obligation de se constituer prisonnier “ à une sorte de caution, la liberté
physique de l’intéressé ”. Elle met ainsi en harmonie sa jurisprudence issue de
l’arrêt
Poitrimol
avec celle relative au cautionnement pénal.
Désormais, l’inexécution d’une caution “ physique ” doit être rapprochée du non
versement d’une caution financière disproportionnée aux ressources de la
personne mise en cause en ce qu’elle ne saurait justifier une négation du droit
d’accès à un tribunal.
B • Le
pourvoi en cassation
9.–
Sur ce point, reprenant ses arrêts
Poitrimol
et
Van
Geyseghem,
la Cour européenne note que le requérant n’a pas eu la possibilité de faire
contrôler par une juridiction supérieure l’équité de la procédure menée en son
absence. En effet, à l’époque des faits, aucun appel n’était possible à
l’encontre d’un arrêt de Cour d’assises et l’accès à la Cour de cassation
demeure toujours fermé au contumax. La purge de la contumace ne pouvant être
considérée comme une voie de recours adéquate, la Cour ne pouvait qu’aboutir à
un constat de violation de l’article 2 du Protocole n° 7.
10.–
Cette solution ne doit toutefois pas être comprise comme la reconnaissance d’un
droit absolu au pourvoi en cassation. La Cour est, en effet, venue préciser sa
position dans l'arrêt
Eliazer
c/Pays-Bas
du 16 octobre 2001.
Dans cette affaire, le requérant avait été condamné pour
détention de stupéfiants. N’ayant pas comparu à son procès, il fut jugé et
condamné par défaut. Il forma ultérieurement un pourvoi que la Cour de cassation
déclara irrecevable au motif qu’il ne pouvait introduire pareil recours puisque,
ayant été condamné par défaut, il devait au préalable former opposition pour que
l’affaire soit rejugée. Tenant compte du fait que l’avocat de l’intéressé avait
été entendu lors des débats et que le requérant avait la faculté d’accéder à la
Cour de cassation en engageant une procédure d’opposition – sans être contraint
à se constituer prisonnier –, la Cour européenne a estimé que l’irrecevabilité
du pourvoi du requérant ne saurait être considérée comme une restriction
disproportionnée au droit d’accès de l’intéressé au juge suprême.
Il apparaît, dès lors, qu’une restriction au droit d’accès à la
Cour de cassation peut valablement être prévue en tant que sanction de la non
comparution du requérant à l’audience. Néanmoins, pour qu’une telle sanction
ménage un équilibre entre les intérêts en jeu, il est nécessaire qu’une voie de
rétractation à l’encontre de la décision rendue par défaut soit ouverte – purge
de la contumace ou opposition – et que l’exercice de ce recours ne soit pas
subordonné à l’obligation pour la personne mise en cause de se constituer
prisonnière.
Nous revenons donc toujours à l’obligation de mise en état dont
l’abrogation par la loi du 15 juin 2000 ne s’est curieusement pas appliquée à
l’article 639 du CPP. Gageons que dans cette période de “ réajustement ” de la
loi dite “ présomption d’innocence ”, le législateur prendra note de la
jurisprudence européenne.
11.–
Si la loi du 15 juin 2000 apparaît lacunaire sur certains points, il n’en
demeure pas moins qu’elle a mené à d’importantes réformes, en particulier la
création d’un appel des décisions criminelles. Il convient donc de s’intéresser
à l’impact de cette innovation afin de vérifier si le constat de violation
dégagé par la Cour dans notre arrêt demeure aujourd’hui justifié.
L’appel est-il désormais ouvert au contumax ? Les nouveaux
articles 380-1 et suivants du CPP – relatifs à l’appel – ne traitent pas
explicitement de la question et les articles 627 à 641 – relatifs à la procédure
de contumace – n’ont pas fait l’objet de modifications. Néanmoins, il est
intéressant de noter que l’article 380-9 – concernant le délai pour interjeter
appel – évoque le cas de “ la partie qui n’était pas présente ou représentée à
l’audience où le jugement a été prononcé ”. Ceci signifierait donc que le
contumax pourrait valablement agir. Toutefois, l’article 380-11, alinéa 4,
prévoit la caducité de l’appel de l’accusé ayant pris la fuite et l’article
380-12, alinéa 2, impose que la déclaration d’appel soit signée au greffe par
l’appelant et son avocat. Dès lors, si le contumax semble pouvoir interjeter
appel à l’encontre de l’arrêt de condamnation rendu en son absence encore
faut-il qu’il se présente.
A défaut, il se verra privé, non seulement de la voie de l’appel, mais aussi de
celle du pourvoi en cassation, ce qui entre directement en conflit avec le droit
à un recours devant une juridiction supérieure.
Là encore une intervention législative apparaît donc
indispensable. Elle devra même dépasser le cadre des voies de recours puisque la
Cour européenne a également condamné l’organisation de la procédure de
contumace, en ce qu’elle interdit à l’avocat de la défense de représenter son
client.
II. Le droit
à être défendu
12.–
Outre la fermeture de la voie du pourvoi en cassation, le Code de
procédure pénale français ajoute l’impossibilité pour l’avocat de la défense de
représenter le contumax. Cette mesure, destinée à sanctionner l’absence de
l’accusé lors son procès,
devait immanquablement faire l’objet de la “ foudre européenne ”
au regard de sa jurisprudence antérieure, dont l'affaire
Krombach
marque l’extension du champ d’application (A.). Toutefois, comme les précédents,
notre arrêt apparaît critiquable en ce qu’il adopte une conception de l’équité
bien éloignée de sa composante essentielle, à savoir le principe du
contradictoire (B.).
A •
L’extension d’une jurisprudence établie
13.–
La Cour relève, tout d’abord, qu’en droit français, l’interdiction de toute
défense à l’audience devant la Cour d’assises revêt un caractère absolu au sens
de l’article 630 du CPP. Or, selon elle, sanctionner la non comparution du
requérant lors de son procès par une telle interdiction apparaît manifestement
disproportionné. En effet, “ quoique non absolu, le droit de tout accusé à être
effectivement défendu par un avocat figure […] parmi les éléments fondamentaux
d’un procès équitable ” et “ un accusé n’en perd pas le bénéfice du seul fait de
son absence aux débats ”.
Dès lors, même si le législateur doit pouvoir décourager les abstentions
injustifiées, la Cour considère qu’il ne peut les sanctionner en dérogeant au
droit à l’assistance d’un défenseur et conclut à la violation de l’article 6,
paragraphe 3 c), de la Convention.
Cette solution s’inscrit donc
parfaitement dans la lignée jurisprudentielle antérieure de la Cour dont l'arrêt
Van Pelt
constituait la dernière manifestation. Dans cette affaire, la Cour avait, en
effet, condamné la France pour ne pas avoir autorisé l’avocat d’un prévenu
absent à le représenter lors d’une audience correctionnelle. Depuis, deux arrêts
rendus contre la Belgique
– les arrêts Stroek et Goedhart du 20 mars 2001 – ont conclu au
même constat de violation.
14.–
L’affaire Krombah
présente, néanmoins, l’intérêt d’étendre le champ d’application de la
jurisprudence de la Cour à la procédure criminelle. Les procédures pénales in
abstentia – qu’elles soient correctionnelles ou criminelles – doivent donc
permettre à l’avocat de la défense de représenter son client absent.
S’agissant de la procédure
correctionnelle, la réception des exigences européennes a déjà été réalisée par
la plus haute juridiction judiciaire française. En effet, par deux arrêt du 2
mars 2001,
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a considéré que “ le droit au
procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur
s’opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé
sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ”. Deux mois
plus tard, la Chambre criminelle s’inclinait à son tour en précisant que les
juges du fond ne pouvaient “ refuser d’entendre l’avocat du prévenu qui avait
été chargé de le représenter ”.
En revanche, quant à la
procédure criminelle, il appartient au législateur de modifier l’article 630 du
CPP, la Cour de cassation ne pouvant être saisie
en vertu de l’article 636 du CPP étudié plus haut.
Il reste, cependant, à
s’intéresser à l’opportunité d’une telle intervention législative. En effet,
autoriser l’avocat de la personne mise en cause à représenter systématiquement
son client absent au nom de l’équité, n’est-ce pas vider de sa substance cette
notion reposant pour l’essentiel sur le principe du contradictoire ?
B •
L’équité sans contradictoire ?
15. –
Si la solution dégagée dans l’arrêt Krombach semble être une application
scrupuleuse du droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat, elle demeure
néanmoins critiquable pour trois raisons.
D’une part, au regard du texte
même de la Convention, cette solution ne s’imposait pas. En effet, comme le
souligne le gouvernement dans notre arrêt,
l’article 6, paragraphe 3 c), de la Convention, ne confère pas à la personne
mise en cause un droit général de “ représentation ”, mais simplement un droit à
l’“ assistance ” d’un avocat. Ceci implique donc que l’accusé soit présent à
l’audience puisque l’“ on n’assiste pas une personne absente ”.
D’autre part, – comme
l’indiquait le juge Pettiti dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt
Poitrimol
– notre arrêt mène à une rupture de l’égalité des armes puisqu’en l’absence de
son adversaire, la victime se voit privée du droit à être confrontée à lui,
l’obligation de comparution personnelle pouvant être entendue comme le pendant
du droit à la confrontation reconnu à la personne mise en cause par l’article 6,
paragraphe 3 d), de la Convention.
Enfin, – comme nous l’avions
souligné pour l’arrêt Van Pelt
–, la solution ici dégagée semble discutable dans la mesure où elle vient
remettre en cause l’effectivité du dialogue contradictoire. En effet, au stade
du jugement, la procédure française revêt un caractère accusatoire et impose
donc la comparution de la personne mise en cause. Le débat qui s’instaure alors
est l’expression la plus achevée du principe du contradictoire destiné à assurer
la manifestation de la vérité. Par conséquent, l’admission de la représentation
menace de mettre à mal l’architecture globale du procès ainsi que son objectif
premier, l’avocat ne pouvant en matière pénale se substituer purement et
simplement à son client.
Voulant renforcer l’équité de la
procédure en affaiblissant le principe du contradictoire,
l’arrêt Krombach apparaît donc pour le moins paradoxal.
Cass. ass. plén., 2 mars 2001, Dentico (2 arrêts), JCP.II.10611,
note Ch. LIEVREMONT ; Dr. pén. 2001, comm. n° 94, obs. A. MARON ;
D. 2001, jur. comm., pp. 1899-1901, note
J. PRADEL.
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