L'équité de la procédure en
matière pénale
L'affaire Papon
(décisions sur la recevabilité
des requêtes
des 7 juin et 15 novembre 2001)
par
Maître Michel PUECHAVY
Avocat à la Cour de Paris
L’affaire Papon, dont il
est inutile de rappeler les faits tant ils ont été développés dans la presse, a
donné lieu à deux décisions sur la recevabilité de la Cour européenne des droits
de l’Homme.
Dans la première requête, ayant
conduit à la décision du 7 juin 2001 rendue par la troisième section, le
requérant, invoquant l’article 3 de la Convention, dénonçait ses conditions de
détention et estimait que le maintien en prison d’un homme âgé de plus de 90
ans, dont l’état de santé s’était gravement détérioré, était incompatible avec
cette disposition.
La seconde requête comprenait
davantage de griefs. Le requérant considérait que le prononcé par la Cour de
cassation de la déchéance de son pourvoi en application de l’article 583 du code
de procédure pénale violait l’article 6 § 1 de la Convention. Il alléguait
ensuite que cette entrave avait entraîné une violation de l’article 2 § 1 du
Protocole n° 7 et une privation de son droit à un double degré de juridiction.
Il invoquait une durée non raisonnable de la procédure, contraire à l’article 6
§ 1, la violation du principe de l’égalité des armes, ainsi qu’une violation de
l’article 7 § 1 de la Convention. Sur le fondement de l’article 6 § 3d, il
soutenait que le délai non raisonnable de la procédure l’avait empêché de faire
entendre les témoins à décharge, ceux-ci ayant disparu ou étant dans
l’incapacité de témoigner cinquante-six ans après les faits. Il faisait
également valoir une violation de l’article 6 § 3a et b de la Convention en
raison de l’impossibilité de préparer sa défense pour répondre à des questions
sur des faits non compris dans la saisine de la Cour d’assises et sur des pièces
non communiquées au préalable. Le requérant estimait que le principe de la
présomption d’innocence avait été méconnu car les média s’étaient fait l’écho
des accusations des parties civiles le considérant coupable. Il affirmait en
outre que des pressions médiatiques avaient été exercées pour influer sur
l’indépendance et l’impartialité du tribunal, en violation de l’article 6 § 1.
Enfin, il se plaignait de ce que la motivation de l’arrêt était insuffisante au
regard des exigences posées par le même article.
1. La décision sur la
recevabilité du 7 juin 2001
Cette requête concernait surtout
une appréciation des faits de la cause. Après avoir examiné en détail cette
question et examiné des éléments de droit comparé, la Cour conclut que la
situation du requérant n’atteint pas, en l’état, un niveau suffisant de gravité
pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. Elle
relève que si la situation du requérant venait à s’aggraver, le droit français
offre, à la fois par la libération conditionnelle et par l’exercice du droit de
grâce, des moyens suffisants pour remédier au grief allégué.
La Cour en conséquence juge la
requête manifestement mal fondée.
2. La décision sur la
recevabilité du 15 novembre 2001
Sur la déchéance du pourvoi en
cassation
La position de la Cour sur cette
question est dans la lignée de toute la jurisprudence destinée à consacrer le
droit d’accès à un tribunal.
Ce droit a été énoncé dans
l’important arrêt Golder c/Royaume-Uni, dans lequel la Cour plénière a
relevé que l’on “ ne comprendrait pas que l’article 6 § 1 de la Convention
décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action
civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en
bénéficier en réalité : l’accès au juge. Equité, publicité et célérité du procès
n’offrent point d’intérêt en l’absence de procès ” (§ 35, in fine).
Ainsi, l’arrêt Golder a
consacré sur le fondement de l’article 6 le droit d’accès à un tribunal et le
droit d’accès à celui-ci tant en matière pénale qu’en matière civile.
Cette jurisprudence a été confirmée par la suite au point que la notion même de
droit d’accès est désormais déduite implicitement de cet article.
Après avoir posé le principe du
droit d'accès à un tribunal dans cet arrêt, la Cour en a ultérieurement précisé
la portée dans les termes suivants :
"a) Le droit d'accès aux
tribunaux, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1), n'est pas absolu ; il se
prête à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature
même une réglementation par l'Etat, réglementation qui peut varier dans le temps
et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et
des individus.
b) En élaborant pareille
réglementation, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge
d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort
sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les
limitations appliquées ne restreignent pas l'accès ouvert à l'individu d'une
manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance
même.
c) En outre, pareille limitation
ne se concilie avec l'article 6 par. 1 (art. 6-1) que si elle tend à un but
légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé." (arrêt Fayed c/Royaume-Uni du 21
septembre 1994, par. 65, citant les arrêts Lithgow et autres c/Royaume-Uni
du 8 juillet 1986, par. 194, et Ashingdane c/Royaume-Uni du 28 mai 1985,
par. 57).
Le principe selon lequel les
“ limitations ne restreignent pas l’accès au tribunal de manière ou à un point
que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance ” se retrouve dans de
nombreux arrêts de la Cour tant dans sa formation antérieure au 1er
novembre 1998 que postérieurement.
La Commission avait également
adopté le même raisonnement.
Cette volonté des organes de Strasbourg d’assurer aux justiciables un accès
concret et effectif à un tribunal ont eu des conséquences considérables dans le
droit interne. Cet aspect ne doit pas être toutefois séparé de la nécessité de
la présence et du renforcement du rôle de l’avocat en matière pénale qui a été
consacré par plusieurs arrêts.
Dans l’affaire Poitrimol
c/France (arrêt du 23 novembre 1993), le requérant, poursuivi pour
non-représentation d’enfant, avait été condamné à un an d’emprisonnement par le
tribunal correctionnel qui avait décerné un mandat d’arrêt. Il avait interjeté
appel mais n’avait pas comparu devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. La cour
d’appel avait dès lors refusé à l’avocat qui le représentait la possibilité de
plaider et de déposer des conclusions. Elle jugea le requérant
contradictoirement et confirma le jugement de condamnation. La Cour constata
une violation de l’article 6 § 1 et 6 §3 c.
Des faits similaires ont conduit
la Cour à relever les mêmes infractions de la Convention dans les arrêts Lala
et Pelladoah c/Pays-Bas, 22 septembre 1994 puis Van Geyseghem c/Belgique,
21 janvier 1999, Van Pelt c/France, 23 mai 2000, Goedhart c/Belgique,
20 mars 2001 et Stroek c/Belgique, 20 mars 2001.
En revanche, dans l’affaire
Medenica c/Suisse (arrêt du 14 juin 2001), la Cour a remarqué qu ‘elle
“ avait déjà eu l’occasion de préciser que la comparution d’un prévenu revêt une
importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la
nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter
avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi
que des témoins et que dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les
absences injustifiées aux audiences ”. Elle a poursuivit en notant qu’une
“ procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible
avec l’article 6 de la Convention s’il peut obtenir ultérieurement qu’une
juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé des
accusations en fait comme en droit ” (paragraphe 54 de l’arrêt).
En l’espèce, la Cour releva que
le président de la Cour d’assises du canton de Genève avait rejeté la demande
de renvoi des débats présentée par le requérant au motif que son absence était
fautive. Par un jugement du 26 mai 1989, la Cour de justice le condamna par
défaut à la peine de quatre ans d’emprisonnement. Cette affaire se distinguait
donc de celles précitées car, lors des débats, la défense du requérant était
assurée par les deux avocats de son choix.
Si l’article 331 du Code de
procédure genevois permet en principe au condamné par défaut d’obtenir
l’annulation de la procédure et un nouvel examen de la cause en fait comme en
droit, en l’espèce, la Cour de justice du canton de Genève rejeta l’opposition
du requérant au motif qu’il n’avait pas fourni des excuses valables pour
justifier son absence et qu’aucun élément du dossier ne permettait de conclure
que son absence était indépendante de sa volonté. Cet arrêt fut confirmé par la
Cour de cassation de Genève ainsi que par le Tribunal fédéral.
En raison de l’ensemble de ces
circonstances, la Cour estima que le requérant avait dans une large mesure
contribué à créer une situation l’empêchant de comparaître devant la cour
d’assises à Genève. Ne s’agissant pas d’un prévenu privé de l’assistance d’un
avocat, la Cour jugea que, eu égard à la marge d’appréciation des autorités
suisses, la condamnation du requérant par défaut et le refus de lui accorder le
droit à un nouveau procès en sa présence ne s’analysait pas en une sanction
disproportionnée. Ainsi, il n’y avait pas eu violation de l’article 6 § 1
combiné avec l’article 6 § 3 c) de la Convention.
Dans l’affaire Khalfaoui
c/France, arrêt du 14 décembre 1999, la Cour a transposé la solution dégagée
dans l’arrêt Poitrimol à la déchéance du pourvoi prévu par l’ancien
article 583 du CPP en jugeant qu’une telle contrainte avait infligé au requérant
une entrave excessive à son droit d’accès au tribunal.
La Cour, en effet, “ n’aperçoit
pas de différence substantielle entre l’irrecevabilité d’office, prévue
uniquement par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de
cassation, comme dans les affaires Poitrimol, Omar et Guérin, et
la déchéance du pourvoi expressément prévu à l’article 583. ” (§ 46).
La Cour observe, par ailleurs
que si le souci d’assurer l’exécution des décisions de justice est en soi
légitime, “ les autorités ont a leur disposition d’autres moyens leur permettant
de s’assurer de la personne condamnée, que ce soit avant ou après l'examen du
pourvoi en cassation. ” (§ 44).
“ Compte tenu de l’importance du
contrôle final opéré par la Cour de cassation en matière pénale et de l’enjeu de
ce contrôle pour ceux qui peuvent avoir été condamnés à de lourdes peines
privatives de liberté ”, la Cour estime “ qu’il s’agit là d’une sanction
particulièrement sévère au regard du droit d’accès à un tribunal garanti par
l’article 6 de la Convention. ” (§ 47).
A la suite de l’arrêt
Khalfaoui, le parquet général de la Cour de cassation décida de renoncer à
inviter les condamnés restés libres à se constituer prisonniers la veille de
l’examen de leur pourvoi.
Il n’en restait pas moins que
l’article 583 du CPP demeurait applicable.
L’article 583 a depuis lors
finalement été abrogé par la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption
d’innocence.
Pourtant, quelques semaines
avant que l’arrêt Khalfaoui ne fût prononcé, la Chambre criminelle de la
Cour de cassation déclarait Maurice Papon déchu de son pourvoi sur le fondement
de l’article 583 du Code de procédure pénale.
Dans l’affaire Papon, le
gouvernement français soutenait qu’il existait une différence avec l’affaire
Khalfaoui qui avait été jugé pour des délits par une Cour d’appel alors que
le requérant avait été condamné pour un crime par une Cour d’assises. Le
requérant se fondait sur l’arrêt Krombach dans lequel la Cour avait admis
que le principe de l’arrêt Khalfaoui s’appliquait indirectement aux
crimes et aux délits.
Les autres griefs
Le requérant soutenait qu’il
avait été privé, en raison de la déchéance de son pourvoi, du droit de faire
examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa
condamnation. Il invoquait l’article 2 du Protocole n° 7 à la Convention.
L’exception de non-épuisement des voies de recours, soutenue par le gouvernement
défendeur, ne fut pas retenue. Le grief fut considéré comme recevable.
Parmi les autres demandes du
requérant, une seule pose des questions auxquelles la réponse de la Cour est
insuffisante. Il s’agit de la durée non raisonnable de la procédure.
En se fondant sur la décision
très critiquable Giummarra et autres c/France, en date du 12 juin 2001
(n° 61166/00) dans laquelle la Cour avait considéré qu’au vu de l’évolution de
la jurisprudence interne, le recours fondé sur l’article L 781-1 du Code de
l’organisation judiciaire avait acquis à la date du 20 septembre 1999 un degré
suffisant de certitude pour pouvoir être utilisé devant les juridictions
internes, elle a déclaré la requête irrecevable au motif qu’à la date
d’introduction de la requête, le requérant ne pouvait ignorer la possibilité
d’obtenir par ce biais l’indemnisation d’une durée excessive de procédure.
Or, ce revirement de
jurisprudence est la conséquence de l’arrêt Kudla c/Pologne, prononcé le
26 octobre 2000. Il aurait été plus honnête d’invoquer l’irrecevabilité pour les
requêtes introduites postérieurement à la date de l’arrêt Kudla.
Nous ne reviendrons pas sur
toutes les critiques qui ont été faites à l’encontre de l’arrêt Kudla
qui, outre sa pauvreté de raisonnement juridique, donne naissance à plus de
difficultés qu’il n’en résout.
Comme le souligne à juste titre
le professeur Flauss, la première incertitude touche à la durée de la procédure
interne par le fait d’exiger un nouveau recours, le contentieux national du
délai raisonnable risquant de devenir un contentieux européen du contentieux
national, un autre point controversé concerne les effets pervers de l’arrêt
Kudla sur la charge de travail de la Cour, comme le contentieux
administratif qui n’offre pas, à ce jour, de recours effectif.
Qu’en sera t-il également de la
violation continue du droit à la durée raisonnable d’une procédure ou de la
violation conjuguée de plusieurs droits garantis par la Convention ?
Selon les enseignements de la
décision sur la recevabilité de l’affaire Papon, il semblerait que le
justiciable soit obligé en cas de violation de l’article 6 par. 1 (violation de
la durée raisonnable) cumulée avec une autre violation, de porter d’une part le
contentieux de l’article 6 par. 1 devant le juge national et, d’autre part,
celui de l’autre violation devant la Cour de Strasbourg.
Les praticiens ont des jours
heureux pour l’avenir.
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