L'équité de la procédure
en matière pénale
Débats
Mme Legrand
(Conseiller
prud'hommal)
Je suis une
ancienne étudiante de Sceaux et je me permets d’intervenir par rapport à ce que
vous venez de dire à propos de la Cour de cassation, concernant les relations
entre les avocats et l’Avocat général. Je suis surprise parce qu'en tant que
conseiller aux prud’hommes, lorsqu’on a des personnes qui forment des pourvois
en cassation sans passer par des cabinets d’avocats, il n’y a aucun contact.
Cela voudrait dire qu’il y a quelque part une disparité. Pourquoi en est-il
ainsi, car cela est vraiment choquant ?
M. Régis de
Gouttes
C’est une très bonne question.
Je répondrai que le droit d’accès au juge doit être un droit d’accès effectif.
Or, devant la Cour de cassation, comme devant le Conseil d’Etat, où le débat est
de pur droit, très technique, complexe, le droit d’accès d’une personne non
juriste, ou non experte en la matière, serait un droit d’accès illusoire. Si
l’on veut que ce droit d’accès soit effectif, il faut nécessairement que cette
personne puisse être défendue par un avocat spécialisé. Par conséquent, pour
répondre à votre question, la solution est dans la possibilité pour toute
personne de recourir à un avocat spécialisé – c’est-à-dire les avocats au
Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation – avec le bénéfice d’une aide
juridictionnelle élargie, de façon à ce qu’il n’y ait pas d’obstacle à cette
possibilité d’être assisté. En dehors de cela, dire qu’une personne sans aucune
expertise en droit va pouvoir se défendre devant la Cour de Cassation revient à
proclamer un droit véritablement illusoire.
Mme Legrand
C’est sûrement vrai. Néanmoins,
je me permets d’insister parce qu’étant conseiller aux prud’hommes je
n’apprendrai à personne que l’origine d'un recours, c’est forcément un syndicat
employeur ou salarié. Donc à partir de ce moment-là, les organisations
syndicales quelles qu’elles soient aident tant le collège des employeurs que
les salariés. Et les pourvois en cassation sont très souvent aidés, puisque dans
le cas où le pourvoi est formé par le salarié, il n’y a pas de pouvoir spécial
de la part du défenseur. Le salarié adresse un pourvoi qui est le plus souvent
rédigé par une des organisations syndicales. Je m’étonne aussi parce que cela
signifie qu'un droit est bafoué et que la loi n’est pas respectée, puisqu’on
nous dit que c’est un problème difficile et qu'il vaudrait mieux voir quelqu’un
ayant des connaissances, c’est-à-dire un avocat spécialisé... Il faut savoir que
souvent le demandeur est un salarié dans une situation difficile. Tout à l’heure
Mme le juge Tulkens nous a fait remarquer qu’il y avait une disparité au niveau
de la Cour de cassation sur l’appréciation d’un préjudice qui serait financier
et moral. Effectivement, si quelqu’un attend une décision pour pouvoir faire
connaître un droit et que la durée de la procédure est de huit à dix ans, est-ce
que cela signifie que la justice est à deux vitesses : d’un côté, celui qui a
les moyens de se payer un avocat pour le pourvoi en cassation (soit quinze mille
francs pour la procédure, parce que l’aide juridictionnelle ne couvre pas tout)
et de l’autre, la personne qui n’a aucune ressource, qui est dans une situation
financière difficile et n’a pas le droit à la justice ?
M. Régis De
Gouttes
Vous posez
un problème sérieux, mais je crois, une fois de plus, que l’intérêt du salarié
isolé, qui veut aller jusqu’au pourvoi en cassation, c’est de pouvoir bénéficier
de l’aide d’un avocat spécialisé, avec une aide juridictionnelle très élargie.
Il n’y aura plus d’obstacles pour le salarié qui se trouve sans moyens s’il est
assuré d’avoir une aide juridictionnelle pour avoir recours à un avocat
spécialisé. Certes, je comprends le problème très particulier que cela peut
poser aux organisations syndicales qui viennent, en effet, présenter leurs
observations devant la chambre sociale de la Cour de cassation. Mais, en termes
d’effectivité, c’est sans doute aller dans le meilleur sens de la défense du
salarié que de lui permettre d’avoir l’assistance d’un homme de loi spécialisé,
à la condition qu’il n’y ait plus de barrage financier. Cet obstacle sera levé
si l’on généralise le ministère d’avocat obligatoire à la Cour de cassation,
assorti d’une aide juridictionnelle étendue et renforcée.
Mme Claire D’Urso
Plusieurs d’entre vous ont parlé
en fait de la mise à mal du contradictoire à travers l'arrêt Krombach, et
d’autres affaires. Peut-on en tirer comme conséquence que vous les interprétez
comme une affirmation par la Cour du droit de ne pas comparaître ? Est-ce cela
votre interprétation ?
D’autre part sur l’article 3
dans l’affaire Papon, en fait, il y a une irrecevabilité qui est
prononcée, mais Mme Tulkens faisait effectivement référence, à la fin de cet
arrêt, à l’âge et à la détention. Comment l’interprétez-vous pour l’avenir ?
M. Olivier
Bachelet
Sur la première question posée
par Mme d’Urso : effectivement, la Cour européenne n’octroie pas un droit à la
non représentation, mais, en pratique, les effets des arrêts vont mener à la
reconnaissance d’un tel droit. En effet, quel est le moyen pour une juridiction
du fond de s’assurer de la présence de la personne qui est poursuivie ? Ce sera
de reporter l’audience, comme le prévoit le Code de procédure pénale, et,
éventuellement, de délivrer un mandat d’amener ou d’arrêt. Tout dépendra donc
des diligences policières et de la possibilité de retrouver la personne mise en
cause. Si, en fin de compte, on ne la retrouve pas, un jugement par défaut ou
par contumace devra être organisé au sein duquel la personne mise en cause
pourra être représentée. Un tel droit de représentation inconditionné peut donc
s’analyser, en pratique, comme un véritable droit à ne pas être présent à son
procès. La Cour européenne n’envisage comme sanction éventuelle de l’absence du
prévenu, non le refus du droit à la représentation, comme le démontre l’arrêt
Krombach, mais plutôt le droit d’exercer un recours, qu’il s’agisse du droit
à une voie de rétractation ou du droit au pourvoi en cassation. Ainsi, dans
l’arrêt Medenica, la Cour affirme que les autorités suisses ont pu
valablement refuser à un individu la voie de l’opposition en raison de son
absence injustifiée à l’audience. La Cour organise donc la sanction autour de
l’exercice des voies de recours. Mais le problème demeure entier quant à la
représentation. La jurisprudence de la Cour débouchera donc sur un procès fictif
qui, finalement, ne mettra en jeu que de simples représentants et qui n’aboutira
pas forcément à la manifestation de la vérité puisque le principe du
contradictoire est totalement nié dans ces hypothèses.
Me Michel
Puechavy
Sur la deuxième question posée
par Mme d’Urso, j’ai partiellement répondu, puisque j’ai cité la phrase de la
première décision sur la recevabilité du 7 juin 2001 dans laquelle la Cour a
indiqué que “ dans certaines conditions, le maintien en détention pour une
période prolongée d’une personne d’un âge avancé pourrait poser problème sous
l’angle de l’article 3 de la Convention, mais qu’il convenait dans chaque cas
d’avoir égard aux circonstances de l’espèce ”. Comme je l’ai dit tout à l’heure,
il ne s’agit pas d’une décision de principe. Mme Tulkens, vous avez très bien
évoqué ce matin la question qui se pose à la Cour, à savoir rendre un arrêt de
principe ou prononcer un arrêt s’en tenant strictement aux faits de l’espèce. La
même voie a été choisie par la Cour pour les délinquants mineurs, arrêts
Nortier c/Pays (1993) et Robert Thompson c/Royaume-Uni. Dans cette
affaire, un enfant de dix ans était responsable avec un garçon du même âge de
l’assassinat d’un enfant de deux ans. Il avait été condamné à une peine de
prison dont la durée était à la “ discrétion de Sa Majesté ”. Je crois que la
question de sa libération s’était posée à l’âge de dix-sept ans après sept ans
d’incarcération. Il n’y eut pas d’arrêt de principe mais uniquement une décision
fondée sur les faits de l’espèce.
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