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Islam et Droits de l'Homme

Islam et Droits de l'Homme

 

AFSHARI (Reza), “An Essay on Islamic Cultural Relativism in the Discourse of Human Rights” Human Rights Quarterly, vol.16, n°2, May 1994,  pp. 235-276.

 

L’auteur, exilé iranien, refusant d’être “banni” de sa propre culture en raison de son sécularisme, ouvre son article, tenant autant du papier d’humeur que de la contribution universitaire, sur l’évocation de geôliers iraniens violant une jeune fille avant de l’exécuter pour qu’un “ennemi de l’Islam” ne périsse vierge (les vierges étant censées aller au paradis).  M. Afshari n’en réfute pas moins l’échec allégué de la laïcisation et le soi-disant triomphe de la ré-islamisation en Iran, qui ne doit son succès qu’à la coercition. L’auteur s’affirme convaincu que le sécularisme, phénomène dominant de la civilisation contemporaine, vit toujours car la société civile a refusé de se fondre dans un moule totalitaire. De nombreux canons et usages naguère dénoncés comme impies réapparaissent, y compris certaines dispositions de la loi sur la protection de la famille promulguée par le Shah en 1967 et 1975. Si le régime impérial était un mauvais mélange de despotisme oriental et de modernisation, le régime de l’Ayatollah est un amalgame précaire de tradition et de modernisation. Ses tentatives pour transformer l’Islam en idéologie politique se sont paradoxalement soldées par une sécularisation croissante de son discours. De même, à l’échelle régionale la majorité de la population n’est pas favorable à une ré-islamisation, les islamistes n’étant soutenus que parce qu’ils dénoncent des dictatures corrompues.

 

Comparant la critique islamiste de l’universalité des droits de l’Homme à la critique marxiste du temps de la guerre froide, l’auteur fait sien le “ pluralisme culturel ” et le “ relativisme éthique ” de certains Occidentaux (Alison Dundes Renteln, Richard Falk, Rhoda Howard) qu’il juge compatible avec l’universalité des droits de l’Homme. Critiquant la compréhension néoféministe pour le port du hijeb, M. Afshari rappelle que celui-ci est imposé aux femmes iraniennes et que le discours (au sens foucaldien) sur la dignité et l’authenticité est réactionnaire. Affirmant que les islamistes n’ont, au mieux, qu’une conception instrumentaliste de la démocratie (comme les nassériens et les baasistes avant eux), il doute sérieusement de la possibilité de rendre la Chariaâ compatible avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme, malgré les efforts des “néotraditionnalistes” insistant sur l’ijtihad. Finalement, M. Afshari plaide pour la laïcité et l’application stricte de la Déclaration universelle.

 

Ph. G.

 

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BACCOUCHE (Néji), “Les droits de l’Homme à travers la Déclaration des droits de l’Homme de l’Organisation de la conférence islamique”, Cahiers de l’Institut du droit européen et des droits de l’Homme (Montpellier), n°5, 1996, pp.13-32.

 

L’auteur, professeur à la Faculté de droit de Sfax procède à une lecture de la “Déclaration des droits de l’Homme en Islam” adoptée au Caire le 5 août 1990 par la conférence des ministres des affaires étrangères de l’O.C.I. Dès le début on est surpris par l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’O.C.I “ne peut procéder à la création d’instruments régionaux à contenu islamique”. Sur quelle base repose une telle affirmation et comment se justifie l’adoption de la Déclaration du Caire qui est un instrument international sans toutefois avoir le caractère contraignant d’un traité et qui de surcroît revêt un caractère islamique dès lors qu’il se réclame des principes et des règles de l’Islam?

 

L’objectif de l’auteur est de s’interroger sur  le fait de savoir dans quelle mesure les droits fondamentaux consacrés au plan universel ont inspiré cette déclaration ou bien si celle-ci exprime une conception islamique des droits de l’Homme. Si elle n’institue pas d’organes de protection des droits de l’Homme, la Déclaration souligne l’adhésion des États musulmans à “la Charte des Nations-Unies et aux droits fondamentaux de l’Homme”. Mais pour Néji Baccouche “la Déclaration du Caire ne constitue pas une relecture de l’Islam. Elle nous paraît plus un instrument de défense d’une identité religieuse et culturelle qu’une véritable déclaration de reconnaissance de droits spécifiques”. La démarche de l’auteur suit un cheminement logique en trois parties correspondant à trois constats: l’Islam inspire les droits de l’Homme (I), la Chariaâ transcende les droits de l’Homme (II), la Déclaration du Caire n’est pas une relecture de l’Islam (III).

 

La Déclaration exprime la volonté de reconnaître un ensemble de droits mais dans le cadre de la Chariaâ. Si le principe d’égalité est mentionné ce n’est pas en termes de droits mais de devoirs et de responsabilité. Ce qui a l’avantage d’éviter d’aborder la question de l’égalité des sexes. En fait, si “la femme est l’égale de l’homme en dignité, elle a ses propres droits et ses propres devoirs” (article 1er) ce qui permet de situer cette déclaration dans la stricte fidélité aux lois islamiques qui accordent un statut particulier à la femme. Le droit à la vie et à l’intégrité est reconnu dans la limites de la Chariaâ qui autorise notamment la flagellation ou la mutilation de la main du voleur (article 2 et 3). L’exercice de nombreux droits énoncés dans la Déclaration - droit d’asile, droits économiques et sociaux ou droits politiques - est conditionné par le respect des règles de la Chariaâ qui parfois constituent de véritables freins. Ceci fait dire à l’auteur que loin de s’inscrire dans une perspective de modernisation et d’adaptation de la Chariaâ, cette Déclaration “s’est limitée à rappeler le cadre islamique inviolable pour la plupart des droits qu’elle a consacré”. Cette absence d’Ijtihad  (innovation) des rédacteurs de la Déclaration présente l’inconvénient de conditionner la jouissance des droits et des libertés au respect de la Chariaâ pour laquelle de nombreux juristes musulmans sont en désaccord sur le nombre de normes qui la composent.

 

Un autre facteur d’incertitude réside dans le problème de l’interprétation des règles de la Chariaâ dont dépendrait en fin de compte le constat de conformité ou non des droits que l’on cherche à protéger. Ainsi à défaut d’être un texte de promotion significative des droits de l’Homme, la Déclaration du Caire s’inscrirait selon l’auteur dans “une perspective d’affirmation d’une identité menacée d’autant plus que les régimes politiques des pays musulmans sont vulnérables sur deux préalables que supposent les droits de l’Homme: l’État de droit et la légitimité démocratique”. Cette approche fondamentalement conservatrice qui illustre l’influence des traditionalistes au sein de l’O.C.I. (Arabie saoudite) s’avère en fin de compte contre productive se limitant à réaffirmer la primauté de la Chariaâ - ce qui n’est pas une innovation en soi - et surtout situant le standard des droits proclamés en deçà de ce qui est reconnu par les constitutions de certains pays musulmans que l’on ne peut considérer comme des modèles de démocratie (Tunisie et Syrie notamment).

 

A. B.

 

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KTISTAKIS (Yannis), La loi sacrée de l’Islam et les citoyens grecs musulmans, Athènes/Thessalonique, Ed. Sakkloulas, 2006, 198 p.

 

L’ouvrage de M. Yannis Ktisatkis, intitulé en grec « Ιερός νόμος του Ισλάμ και μουσουλμάνοι έλληνες πολίτες » que l’on pourrait traduire en français par « La loi sacrée de l’Islam et les citoyens grecs musulmans », est sorti en Grèce au cours de l’année 2006 aux éditions juridiques grecques Sakkoulas et devrait être prochainement traduit et édité en langue française.

 

Ce livre a la particularité d’aborder un sujet pas ou peu connu, du moins par les juristes français. En effet, M. Ktisakis traite dans ce livre de l’application de la sharia vis-à-vis des citoyens de nationalité grecque et de confession musulmane. A notre connaissance, peu d’ouvrages parlent de cette situation d’un point de vue juridique, la minorité musulmane de Grèce ayant fait l’objet plutôt d’études sociologiques et historiques.

 

Le livre que nous présentons ici a donc un intérêt à plusieurs titres. En effet, en premier lieu, s’il semble s’inscrire dans un cadre purement interne, à savoir, l’application ou non d’un droit spécifique à l’égard d’une minorité donnée sur le territoire national grec, il peut en fait être vu aussi comme un cas spécifique intéressant du point de vue du droit international puisqu’il semblerait que ce soit la seule application tolérée du droit musulman réglant les questions d’ordre familial et d’héritage pouvant surgir entre coreligionnaires sur le territoire européen. La Grèce, membre de l’Union européenne, laisserait un ou des membres d’une minorité de nationalité grecque mais de religion musulmane de régler tout litige, dirons-nous personnel (droit de la famille : mariage, divorce…droit de succession) avec une personne de religion musulmane selon les dispositions religieuses de droit musulman. Il faut préciser que l’exemple de l’île de Mayotte présente aussi cette caractéristique mais l’auteur précise que l’application sur cette île tombe en désuétude de même que dans le cas de Chypre qui avait des dispositions de droit musulman à l’égard de la communauté turque musulmane. Ainsi, la Sharia s’applique donc sur le territoire national grec et donc sur une partie du territoire de l’Union européenne.

 

Deuxièmement, cette possibilité est laissée alors que la Grèce a, pour l’ensemble de ses citoyens et ce quelque soit leur croyance, religion personnelle (orthodoxe, musulmane, catholique, protestante….) un droit civil propre (Code civil de 1946). Si la Grèce n’est pas un pays laïc, elle n’applique pas non plus un droit religieux spécifique aux orthodoxes qui constituent la majorité de sa population. Si les mariages orthodoxes sont reconnus par les autorités publiques grecques et que, selon le code civil lui-même le mariage peut-être célébré religieusement par un prêtre de l’Eglise orthodoxe orientale ou/et par un officiant d’un autre dogme ou/et religion reconnu par la Grèce, le mariage civil a aussi fait son apparition et par, ailleurs, à notre connaissance, le divorce et autres sujets de droit de la famille et les questions d’héritage ont toujours été régis par le droit civil grec et non selon le droit canonique orthodoxe grec. Se pose alors la question de l’égalité du citoyen devant la loi, puisque les citoyens grecs musulmans pourraient choisir entre le droit civil grec et le droit musulman alors que les citoyens grecs non musulmans ne pourraient se référer qu’à un seul type de droit.

 

Troisièmement, le règlement de conflits et les décisions de droit musulman se fait par le biais d’une institution musulmane appelée « Mufti » contrôlée par le tribunal de première instance de la même circonscription. Mais là encore, cette situation réserve encore une particularité puisqu’en droit musulman le juge n’est pas le Mufti qui n’est que l’interprète du droit musulman, mais le cadi. Jusqu’en 1913, nous dit l’auteur, leurs deux rôles étaient séparés puis le Mufti s’est transformé en juge religieux d’après la loi grecque 2345/1920. La Grèce a donc, tout en voulant respecter le droit musulman et ses sujets, attribué plus de compétences que n’en avait le Mufti originairement.

 

L’auteur a divisé son Livre en trois chapitres à savoir l’applicabilité dans l’ordre interne grec de la Sharia dans un premier chapitre, puis la question de la mauvaise interprétation de l’obligation internationale de la Grèce à l’égard de la minorité grecque et enfin, les limites de cette applicabilité au regard de la protection actuelle des droits de l’Homme.

 

Les bases juridiques de droit grec dont est issue l’applicabilité sur le territoire grec de la Sharia sont les lois n° 147/1914 « Περί της εν ταις προσαρτωμέναις χώραις εφαρμοστέας νομοθεσίας και της δικαστικής αυτών οργανώσεως » qui concernaient, suite à l’agrandissement du territoire national grec vers le Nord, les régions nouvellement intégrées qui comportaient une forte population locale de confession musulmane mais aussi apparemment de confession juive puisque cette loi disposait que ces personnes en ce qui concerne le mariage et les liens de parenté étaient soumises à la loi de leur religion. La Code civil de 1946 n’abrogea pas cette disposition entièrement, elle ne fut abrogée qu’à l’égard des Juifs par conséquent on peut penser qu’elle est toujours en vigueur vis-à-vis des Musulmans puisque l’article 6 de la loi introductive du nouveau code civil ne parle que de l’abrogation de la loi vis-à-vis des Israélites. De plus, l’article 8 de la loi introductive du code de procédure civile conserve en vigueur l’article 10 de la loi 2345/1920 qui établit la compétence du Mufti en tant que juge religieux. La loi 1920/1991 constitue avec la loi n°147/ 1914 les fondements juridiques de l’application de la Sharia en Grèce.

 

En ce qui concerne l’institution du Mufti, celui-ci est désigné par un décret présidentiel après proposition du Ministre de l’Education nationale et des Affaires religieuses. Pour être Mufti, il faut être musulman de citoyenneté grecque, être diplômé de l’Ecole supérieure de théologie islamique de Grèce ou/et de l’étranger ou/et avoir le diplôme Itzmet Vamé ou/et avoir été Imam pendant au moins 10 ans et se distinguer par sa morale et sa formation théologique. Les Muftis sont donc des fonctionnaires de l’Etat grec et ils peuvent être licenciés par un décret présidentiel.

 

Les trois tribunaux religieux appelés aussi « Mufteia » concernés se situent en Thrace occidentale dans les villes de Xanthi, de Komotini et de Didymoticho (ici il y a une représentation du Mufti et non une Mufteia). Ces trois tribunaux rendent leurs décisions en Ottoman, décision qui peut être traduite en langue grecque par un particulier, traduction qui doit être validé par le tribunal religieux lui-même pour être ensuite présentée par les intéressés aux autorités publiques grecques. En tous état de cause, les décisions prises par les Muftis font automatiquement l’objet d’un contrôle par le Tribunal d’Instance grec de la même circonscription de la Mufteia qui examine l’applicabilité et donc nous pouvons penser de la « validité », de la « légalité » de cette décision. Si les circonscriptions de compétences sont délimitées (en Thrace occidentale) se pose la question de savoir si les Muftis sont compétents pour régler des questions soulevées entre Musulmans d’autres régions de Grèce voire même ayant un élément d’extranéité tel que la nationalité d’un autre pays. Si cette question semble être réglée par les textes en pratique elle n’est pas si tranchée. Ainsi, d’après la loi, seuls les Grecs musulmans de Thrace occidentale qui n’ont pas été considérés comme échangeables (voir sur ce point les échanges de population survenus entre la Grèce et la Turquie, le fait aussi qu le Mufti ne peut agir que dans sa juridiction donc là où il se trouve (loi 1920/1991) et pour l’instant les trois tribunaux religieux sont en Thrace ) peuvent saisir le Mufti et se voir appliquer la Sharia, les autres musulmans habitant en dehors de la Thrace occidentale sont soumis comme tous les autres citoyens de Grèce aux dispositions du Code civil. Certaines affaires présentées par l’auteur montrent que cette question n’est pas si tranchée et que les tribunaux religieux sont compétents même à l’égard de citoyens grecs musulmans n’habitant plus ou/et pas en Thrace occidentale De même, en ce qui concerne la possession de la citoyenneté grecque par les parties musulmanes en litige, c’est une condition sine qua non. Or, les tribunaux religieux se jugent parfois compétents pour régler des affaires concernant des musulmans étrangers ce qui est, en principe, contraire à la loi 1920/1991.

 

En réalité, la confusion aussi vient de ce que la compétence de célébrer le mariage est donnée au Mufti en tant qu’homme d’Eglise et non en tant que juge, la loi 1920/1991 n’est pas claire sur ce point. Or, en tant qu’officiant religieux, le Mufti pourrait très bien en principe marier deux personnes musulmanes sans considération de leur nationalité mais en tant que juge religieux grec, il n’est pas compétent pour les questions de mariage entre deux personnes musulmanes non grecques. Dans les deux cas, un contrôle des autorités grecques s’effectue mais par deux entités différentes et au regard de deux textes juridiques différents (Code civil et Constitution grecs). Le contrôle est donc confus et l’attitude des tribunaux religieux aussi.

 

L’auteur précise ensuite le contenu de la loi musulmane et comment il s’applique par les tribunaux religieux. Ici nous parlerons que des points qui différent grandement avec les différentes Lois occidentales à savoir entre autres la polygamie et la décision unilatérale de l’époux de divorcer de sa femme (sorte de répudiation). En ce qui concerne la polygamie, là encore sous certaines conditions et avec autorisation du Mufti, elle serait applicable mais elle serait inconstitutionnelle. Dans la pratique, la polygamie diminue, le Mufti posant souvent des obstacles.

 

En ce qui concerne la dissolution du mariage sur la base de la seule volonté de l’époux, là aussi la pratique est très rare. Dans ce cas et selon le droit musulman, l’épouse reçoit une indemnisation prévue avant le mariage. En ce qui concerne le mariage entre mineurs, l’autorisation pour le mariage est donnée si la situation des mineurs semble l’exiger (grossesse de la future épouse, réputation des familles, etc.), l’auteur présente aussi les différents modes de dissolution du mariage et leurs effets, les empêchements au mariage, les questions de tutelle et d’héritage entre autres.

 

Nous venons de voir, que l’application de la Sharia est contenue principalement dans deux lois internes que sont la loi n°147/1914 et la loi 1920/1991. Existent-ils des dispositions d’ordre international auxquelles la Grèce a contracté ? L’auteur explique que le traité de Constantinople du 2/7/1881 et la loi d’application qui en découle ΑΛΗ’/22.6.1882 « des chefs religieux des communautés de Mahométans » abordent pour la première fois la question de l’application de la Loi sacrée et du fonctionnement de tribunaux religieux spécifiques mais des régions de Larissa, Pharphale, Tricala, Volos et non de Thrace. La Cour de cassation considère que ce traité est encore en vigueur, le Conseil d’Etat non, il aurait été abrogé par la loi 2345/1920.

 

Par la suite, le Traité d’Athènes du 14 novembre 1913 « du renforcement de la paix et de l’amitié entre la Grèce et la Turquie » mit fin à la guerre qui opposait les deux pays et a sauvegardé la protection de la liberté religieuse des Musulmans des nouveaux pays/territoires. Ce traité ne concernait que les régions de Macédoine et de l’Epire. C’est dans la suite de ce traité que les lois n° 147/1914 et 2345/1920 ont été prises. Il est admis que le Traité d’Athènes n’est plus en vigueur dans son ensemble. Le Conseil d’Etat en a décidé ainsi en regardant ensuite l’évolution internationale qu’il y a eu, la Cour de cassation, quant à elle, pense que ce traité est toujours la base juridique de la protection de la minorité musulmane en Grèce et de ce traité découle l’obligation internationale de la Grèce concernant l’application de la Sharia.

 

Vient ensuite la question du Traité de Sèvres, traité du 10 août 1920. Il devait assurer un nouveau cadre général de protection des minorités qui vivaient sur le territoire intérieur de la Grèce alors. De nouveaux territoires sont encore attribués à la Grèce dont la Thrace. L’octroi de celle-ci sera définitif lors de la Conférence de Lausanne. Le traité ne fait pas référence à l’institution du Mufti, il ne fait qu’une brève référence à la Loi sacrée. Pour le Conseil d’ Etat grec ce traité est encore en vigueur et la Cour de cassation grecque le mentionne comme un acte international qui impose l’application de la Sharia. Nous ne rentrons pas ici dans la question de savoir si le Traité de Sèvres est encore en vigueur, avec la dissolution de la SDN, la seconde guerre mondiale, la création de l’ONU, seuls, en droit international, à notre connaissance le Traité de Lausanne de 1923 et le statut des îles d’Åland de 1921 qui datent de l’époque de la SDN sont encore en vigueur. Le Traité de Lausanne reprendrait donc le Traité de Sèvres en ce qu’il fixe le régime juridique de protection des minorités non musulmanes de Turquie et celle de la minorité musulmane en Grèce (en Thrace).

 

Pour finir, dans sa troisième et dernière partie, l’auteur aborde la question de la compatibilité de la Sharia avec les traités internationaux actuels et notamment la Convention européenne des droits de l’Homme tant en ce qui concernerait le déroulement des actions judiciaires des tribunaux religieux telle que l’audience et la comparution des deux parties en cause devant eux (la comparution ne semble pas toujours obligatoire en droit musulman, des décisions peuvent être prises telles que par exemple lors de la dissolution du mariage par simple déclaration de l’époux, sans que l’autre conjoint ait été entendue et ne soit présente) qu’en ce qui concerne l’égalité des sexes et la protection de l’enfant plus particulièrement.

 

Hélène APCHAIN

 

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MAHIOU (Ahmed), “La Charte arabe des droits de l’Homme”, in : L’évolution du Droit international. Mélanges offerts à Hubert Thierry, Paris : Pédone, 1998, pp. 305-320.

 

D’emblée, l’auteur nous explique que la genèse de la Charte arabe est à rechercher dans la convergence d’une double pression, extérieure et intérieure.  Le contexte international qui tend à affirmer les droits de l’Homme comme un aspect de plus en plus important du standard des normes régissant les relations inter-étatiques aurait ainsi contraint les pays arabes à s’aligner sur ces nouvelles priorités de la communauté internationale. L’adoption de la Déclaration des droits de l’Homme en Islam par l’OCI dont tous les États arabes sont membres a exercé aussi une influence sur le processus de mise en oeuvre de la Charte arabe, libérant en quelques sorte les dernières réticences. Cette Déclaration à laquelle tous les États arabes ont souscrit permettait ainsi de dégager un cadre conceptuel  régional pour les droits de l’Homme dont allait s’inspirer la Charte comme l’illustre la référence dans le préambule au texte de l’OCI. Mais c’est à l’intérieur des États arabes qu’un changement significatif se produit avec la structuration d’un discours revendicateur des droits de l’Homme émanant d’acteurs sociaux de plus en plus audacieux et plus précisément d’organisations indépendantes de défense des droits de l’Homme. La Charte arabe qui est le fruit d’un long mûrissement dans le cadre de la Commission des droits de l’Homme de la Ligue instituée en 1968 sera adoptée en septembre 1994. Les rédacteurs de la Charte arabe ont voulu inscrire leur initiative dans la continuité de la Déclaration universelle, des Pactes de 1966 et de la Déclaration islamique de 1990. Par rapport à cette dernière, l’auteur estime que la Charte arabe constitue une “importante avancée” y voyant la marque de l’influence du courant moderniste ou progressiste. Mais la Charte arabe se heurte à la difficulté structurelle de concilier la plénitude des droits de l’Homme avec les prescriptions de la Chariaâ qui constitue un corpus de règles irréductibles du droit musulman.

 

D’emblée les rédacteurs de la Charte situent le cadre conceptuel dans lequel doivent s’inscrire les droits de l’Homme en terre arabe en soulignant l’importance des droits collectifs à travers la référence aux droits des peuples, à la famille mais aussi ce qui est plus étonnant, au “droit des minorités de bénéficier de leur culture et de manifester leur religion par le culte et l’accomplissement des rites”. En revanche la catégorie des règles à usage individuel est relativement restreinte quant elle n’est pas “incertaine” pour reprendre l’expression de l’auteur. Les règles ressortissant de l’habeas corpus sont affirmées même si la formule retenue pour l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants est en recul par rapport à la définition qu’en apporte la Convention internationale de 1984. Ceci est dû au fait que pour des pays comme l’Arabie saoudite les châtiments corporels ou les mutilations prévues par la législation pénale islamique n’entrent pas dans les catégories prévues par ladite Convention. Quant à l’égalité homme-femme si elle révèle une certaine souplesse et ouverture de la Charte par rapport au droit islamique, elle n’en reste pas moins évoquée de manière générale et abstraite, les États comme le souligne l’auteur restant tributaires des prescriptions de la Chariaâ.

 

L’auteur en conclut que “la panoplie des droits reconnus par la Charte doit être évaluée à la lumière de tout un contexte où d’autres facteurs s’ajoutent aux éléments de droit positif pour aboutir, explicitement ou implicitement, à en réduire le champ d’exercice, voire à les remettre en cause notamment par le biais de dérogations”. En définitive, cette lecture très stimulante de la Charte arabe des droits de l’Homme nous confirme l’ampleur des obstacles et des contradictions d’essence religieuse et politique auxquels est confronté toute entreprise de promotion des droits de l’Homme dans cette région du monde. Quand on considère que la majorité des États arabes restent dans les faits peu perméables au standard universel des droits de l’Homme on ne peut qu’être sceptique quant à l’efficacité d’un texte qui au-delà de son importance symbolique risque d’apparaître comme un instrument destiné à dédouaner des régimes qui à un titre ou à un autre ont quelque chose à se reprocher dans ce domaine.

 

A. B.

 

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MAYER (Ann Elisabeth), Islam and Human Rights: Tradition and Politics, Boulder : Westview Press & London : Pinter Publishers, 1995, 2nd ed., 223  p.

 

Ann Elisabeth Mayer qui est Professeur de Droit à l’Université de Pennsylvanie et spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord nous plonge dans un livre très argumenté et très documenté. C’est une étude comparative de la formulation des droits civils et politiques en droit international et du point de vue islamique. Elle nous prévient que la référence à l’Islam dans le titre de l’ouvrage ne signifie nullement que l’Islam est monolithique par rapport à sa conception des droits de l’Homme, mais que cette religion à l’instar des autres grandes religions concerne des pratiques et des traditions souvent anciennes et complexes. Elle constate qu’en dépit d’une foi unique, la position des musulmans à l’égard des droits de l’Homme est très variable allant d’un rejet pur et simple à une adhésion sincère. Mais ce qui différencie fondamentalement les approches des musulmans de celles des Occidentaux, c'est que les premiers se réfèrent systématiquement aux principes religieux et aux interprétations des sources islamiques pour soutenir ou condamner les droits de l’Homme.

 

Cet ouvrage se décompose en dix chapitres qui abordent la question des droits de l’Homme et de l’Islam sous différents aspects. Les trois premiers portent sur les similitudes et les différences entre le droit international et le droit islamique des droits de l’Homme du point de vue de leurs sources et des contextes historiques qui les ont vu naître et évoluer. Les chapitres 4 à 8 traitent des questions sensibles et conflictuelles relatives aux discriminations à l’égard des femmes et des non-musulmans ainsi que de la liberté de religion. Dans les deux derniers chapitres, l’auteur fait un bilan de la mise en oeuvre des droits de l’Homme en Islam du point de vue conceptuel insistant en particulier sur ce qu’elle qualifie de “Culture-Based Resistance to Rights”. Contrairement aux précédents qui reprennent le débat connu sur la difficulté à concilier principes du droit international des droits de l’Homme et principes islamiques, les deux derniers chapitres revêtent un intérêt particulier en ce qu’ils expriment l’apport théorique de l’auteur à une problématique largement abordée.

 

Avec un sens certain de la mesure pour une Américaine, on nous rend compte du lourd contentieux qui caractérise les rapports entre ”Occident” et “Orient” qui s’exprime aujourd’hui par la référence au “double standard” dans la mise en oeuvre du droit international y compris dans le domaine des droits de l’Homme. Se référant en particulier à la thèse d’Edward Said sur l’Orientalisme, elle rend compte de l’expérience globalement négative que le monde musulman a eu de l’Occident. Dès lors les droits de l’Homme pouvaient apparaître pour de nombreux musulmans comme une nouvelle initiative occidentale aux intentions douteuses car visant à évaluer les normes islamiques par rapport à leur conformité au droit international qui est considéré par de nombreux juristes musulmans comme étant d’essence occidentale. Dès lors, pour l’auteur on peut expliquer l’émergence dans le monde musulman d’une résistance à fondement culturel aux droits de l’Homme. Celle-ci serait principalement animée par des courants de pensée musulmans qui ont imposé une interprétation discutable des sources islamiques. Nous partageons le constat selon lequel le bilan négatif des droits de l’Homme dans le monde musulman serait moins le fait d’une incompatibilité inhérente de l’Islam et des droits de l’Homme, mais le résultat du travail des élites conservatrices - les bénéficiaires des systèmes politiques autoritaires - qui légitiment leur opposition aux droits de l’Homme par la référence à une spécificité culturelle. Mais l’auteur oublie de mentionner que cette “résistance culturelle” animée par les courants les plus conservateurs s’inscrit dans un phénomène plus vaste, la dynamique de résistance à la mondialisation et à la modernisation dont la portée va bien au-delà de la question des droits de l’Homme.

 

Ann Elisabeth Mayer a le mérite de se référer à une documentation diversifiée autant que pertinente constituée non seulement d’une littérature anglo-saxonne dense mais aussi aux programmes de partis politiques se revendiquant de l’Islam, des constitutions et lois fondamentales de certains pays musulmans (Iran, Arabie Saoudite), de la Déclaration du Caire et des écrits de spécialistes éminents de la doctrine islamique (Mawdudi et Tabandeh), y compris d’Al-Azhar. En cela, l’ouvrage de A.E. Mayer est une référence relativement complète pour ceux qui désirent avoir une vue d’ensemble du point de vue juridique sur la problématique “Islam et droits de l’Homme”.

 

A. B.

 

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MAYER (Ann Elisabeth), “Universal versus Islamic Human Rights: a Clash of Cultures or a Clash with a Construct ?”, Michigan Journal of International Law, vol.15, Winter 1994, pp. 307-404.

 

Ann Elisabeth Mayer s’est incontestablement imposée comme une des spécialistes américaines des droits de l’Homme en Islam à travers ses nombreux ouvrages et articles sur la question. Dans cette étude très fouillée enrichie par de nombreuses références bibliographiques, elle analyse le système des droits de l’Homme dans le contexte islamique faisant ressortir son particularisme par rapport au système universel. La spécificité des droits de l’Homme en Islam illustre moins un conflit de culture (“a Clash of Cultures”)  qu’une alternative à l’universalisme; Elle insiste aussi sur le fait que contrairement aux apparences, le monde musulman n’est pas un bloc monolithique. Quelle est la place des droits de l’Homme dans la tradition juridique islamique? Comment des éléments purement islamiques ont été combinés avec les principes universels des droits de l’Homme ?

 

A propos de la thèse du “Clash des civilisations”, elle réfute la position de Samuel Huntington selon laquelle les Occidentaux devraient s’interdire d’insister sur l’universalité des droits de l’Homme au risque d’offenser les autres cultures et d’alimenter le fondamentalisme. Elle répond que les musulmans ne sont pas hostiles par principe aux droits de l’Homme mais à la politique du double standard dans ce domaine des gouvernements occidentaux (p.313). L’adoption par les pays musulmans de leur propre Déclaration des droits de l’Homme (Déclaration du Caire) comme alternative à la Déclaration universelle exprime non un refus des droits de l’Homme mais la volonté de les inscrire dans un système de valeur islamique qui se distinguerait des valeurs judéo-chrétiennes. L’auteur nous rappelle que la principale lacune de la conception islamique des droits de l’Homme réside dans la non-reconnaissance de la liberté de changer de religion et de l’égalité homme-femme. Elle note fort pertinemment que les juristes musulmans ainsi que les textes islamiques concernant les droits de l’Homme (Constitutions et déclarations) ne rejettent pas ouvertement et explicitement l’égalité homme-femme mais le plus souvent la conditionnent au respect des normes islamiques qui prévalent sur les différents droits et libertés.

 

L’auteur procède à une lecture minutieuse de la Déclaration du Caire sur les droits de l’Homme en Islam (1990) et de la loi fondamentale de l’Arabie Saoudite (1994) d’un point de vue comparatif, s’efforçant de dégager la compatibilité ou non des droits qui y sont énoncés avec ceux proclamés dans les textes internationaux (droits de la femme, liberté de religion, code pénal...). Toutefois, ces deux textes font de nombreux emprunts au modèle occidental des droits de l’Homme et paradoxalement s’inspirent de manière sélective de l’héritage purement islamique. Mais, le drame dans ce débat est que les musulmans du monde n’ont jamais été invités à se prononcer sur les droits et libertés qu’ils désirent se voir reconnaître par leur gouvernements et sur le caractère “islamique” ou non de tel ou tel droit de l’Homme. Ann Elisabeth Mayer soulève ici la véritable question dans ce débat très complexe sur Universalisme versus particularisme islamique.

 

A. B.

 

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MEHRPOUR (Hossein), “Islam and Human Rights”, The Iranian Journal of International Affairs, vol.VIII, n°4, Winter 1996-97, pp. 729-760.

 

Après avoir dressé un historique sur l’apparition du terme “droits de l’Homme” dans des textes constitutionnels et en particulier la Déclaration française de 1789, l’auteur - professeur de droit à l’Université Beheshti de Téhéran, nous livre sa réflexion sur la conception des droits de l’Homme en Islam.  L’auteur procède à une comparaison entre les standards universels des droits de l’Homme et les principes et concepts de l’Islam dans ce domaine. Les principes de liberté et d’égalité qui sont à la base de la Déclaration universelle sont analysés du point de vue islamique. Ainsi, le premier facteur de confrontation entre conceptions universelle et islamique porte sur l’esclavage que le Coran autorise explicitement en posant certaines conditions de traitement humain et en encourageant leur libération. Cette tolérance à l’égard de l’esclavage s’expliquerait selon l’auteur par les conditions historiques qui prévalaient dans les sociétés arabes préislamique ou l’esclavage était institutionnalisé. A l’en croire, le Coran n’a fait que codifier une pratique sociale dominante, l’esclavage devenant un “phénomène accidentel et non naturel”. Dès lors comme le relève Sami Aldeeb Abu Sahlieh il y a une ambiguïté de l’Islam à l’égard de l’esclavage qui tout en étant reconnu ne pouvait être considéré comme légitime vu l’encouragement à la libération des esclaves. Mais nous ne pouvons pas contrairement à Abu Sahlieh et Mehrpour interpréter pour autant cette ambiguïté comme suggérant l’éradication de l’esclavage. De même l’affirmation selon laquelle l’esclavage n’était permis qu’à l’égard des infidèles  capturés au combat est discutable quant on considère la condition des concubines qui de surcroît n’étaient pas toutes des non-musulmanes.

 

Abordant les libertés au sens civil et politique énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international de 1966, l’auteur considère qu’il y a globalement compatibilité entre l’Islam et les instruments internationaux. Il en veut pour preuve  le fait que l’Islam reconnaît le droit des Musulmans à participer aux affaires publiques, d’exprimer leurs opinions, voir de critiquer la manière de gouverner. L’auteur cite pour illustrer son propos le gouvernement islamique sous les quatre premiers califes fondé sur la concertation et le refus du despotisme. Mais le martyre de Ali marque la fin de cette expérience et l’avènement d’un “gouvernement aux méthodes despotiques ”. La question de la liberté religieuse est également abordée d’un point de vue comparatif pour souligner que l’Islam n’admet pas de contrainte en religion, ni l’imposition d’une croyance. Mais il tempère cette affirmation en reconnaissant, citation de versets du Coran à l’appui, que la vérité réside dans le message coranique. Il est tout de même décevant que l’auteur n’ait pas abordé sur le fond la question de la liberté de changer de religion qui en vertu d’une lecture littérale des textes islamiques est assimilée à l’apostasie, crime suprême au plan religieux.

 

La primauté donnée au message coranique expliquerait tout naturellement que les adeptes de ce message ne pourraient être mis sur le même plan que les non-musulmans qui seraient en quelque sorte dans l’erreur. Dès lors la non-discrimination sur une base religieuse en terre d’Islam s’avère difficile à respecter. Elle s’exprime à travers des règles civiles ou pénales en vertu desquelles par exemple un non-musulman ne peut hériter d’un musulman ou une musulmane ne peut épouser un non croyant; le contraire étant possible. Cette dernière règle nous amène naturellement à évoquer la question du statut inférieur de la femme en Islam.  Mehrpour reconnaît que c’est sur la question de l’égalité homme-femme que se situe la contradiction majeure entre les conceptions universelles et islamiques des droits de l’Homme. Donnant un bref aperçu des inégalités de droits - la responsabilité familiale repose sur l’homme, la femme ne peut hériter que l’équivalent de la moitié de la part qui revient à l’homme - l’auteur l’attribue non à une volonté de discriminer la femme mais à des causes naturelles essentiellement d’ordre physique. Ce serait donc dans “la nature des choses” que l’homme ait à assumer des responsabilités et par conséquent des droits supérieurs à ceux reconnus à la femme. Mais cela ne signifierait pas selon l’auteur que ces deux êtres n’aient pas une “égale valeur humaine” ou un mérite équivalent. Toutefois l’affirmation selon laquelle la différence homme-femme en droit musulman n’est pas basée sur une discrimination sexuelle, mais sur une division des tâches et des responsabilités, est discutable. Comment expliquer, par exemple, que le témoignage de deux femmes équivaut à celui d’un homme, dès lors qu’on reconnaît un égal mérite et une égale valeur humaine aux deux sexes ?

 

L’auteur a le mérite d’entrouvrir une porte lorsqu’il admet la possibilité de réformer les lois islamiques pour les mettre en conformité avec l’époque mais sans affecter la “vision originelle de l’Islam”. En l’absence d’une définition des principes originels, cette affirmation apparaît comme un vœux pieux. Sans être totalement convainquant cet article a le mérite de faire le point et de poser de véritables questions sur les contradictions entre universalisme et relativisme sans toujours apporter les réponses attendues. Mais tel n’était peut être pas l’ambition de l’auteur.

 

A. B.

 

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TAVERNIER (Paul), ”L’ONU et l’affirmation de l’universalité des droits de l’Homme“, Revue trimestrielle des droits de l’Homme, n°31, juillet 1997, pp. 379-393.

 

Paul Tavernier, directeur du Centre d’Études et de Recherches sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire (CREDHO), nous livre ici son analyse sur le cheminement du concept d’universalité des doits de l’Homme, les résistances à son affirmation et en fin de compte son affermissement. Cet article se compose de deux parties. Dans la première on présente les différents discours contestataires de l’universalisme qu’ils soient d’essence régionaliste ou confessionnelle et culturaliste. Dans la deuxième partie l’auteur fait le constat d’une évolution globalement favorable à l’universalisme des droits de l’Homme.

 

Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’Homme de 1948 (René Cassin) attachaient une grande importance à son caractère universel ce qui n’était pas évident  à l’époque en raison de la méfiance des pays socialistes. La “coexistence et l’harmonie” des systèmes régionaux et universels de protection des droits de l’Homme si elle est une réalité dans le cas de l’Europe - la Convention européenne des droits de l’Homme s’inscrivant dans la lignée de la Déclaration universelle - n’ont pas toujours été aisées.  C’est en particulier le cas de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples qui marque sa spécificité par rapport à l’universalisme à travers la référence aux valeurs de la tradition et de la civilisation africaine ainsi qu’aux devoirs de l’individu à l’égard de l’État, de la communauté et de la famille. La Charte arabe des droits de l’Homme affirme également sa spécificité en insistant, nous rappelle l’auteur, sur les “principes éternels définis par le droit musulman”. Mais ces deux textes ne remettent pas en cause l’universalité des droits proclamés dans la Déclaration de 1948. Ce n’est pas le cas des conceptions confessionnelles et culturalistes des droits de l’Homme qui s’inscrivent à contre-courant de l’universalisme. Ainsi la problématique essentiellement religieuse dans laquelle s’insère la Déclaration islamique universelle des droits de l’Homme (Conseil islamique pour l’Europe, 1981) - à laquelle il faudrait ajouter la Déclaration des droits de l’Homme en Islam  de l’OCI que l’auteur a omit de mentionner - réduit les droits de l’Homme à n’être que des garanties d’essence religieuse. Ce qui a pour conséquence, comme le dit fort justement Paul Tavernier, une interprétation des droits reconnus “dans un sens qui risque fort de contredire celui qui est admis sur le plan universel”.

 

L’auteur termine son analyse sur une note optimiste lorsqu’il nous réconforte sur la consolidation de l’universalisme en dépit des tentatives faites notamment par des États asiatiques au cours de la Conférence de Vienne (1993) pour imposer la reconnaissance d’un relativisme culturel qui assurerait à ces États un régime particulier de dualité des normes.

 

En définitive cet article fait le point sur la problématique universalisme versus culturalisme des droits de l’Homme, une question que d’aucuns croiraient résolue par la Conférence de Vienne, mais qui au-delà des discours et des textes juridiques est quotidiennement remise en cause par les pratiques des États qui s’appuient sur une interprétation conservatrice des traditions religieuses et culturelles conçues comme un instrument de marginalisation de la société civile et un alibi pour le maintien de régimes autoritaires. Mais c’est cela qui fait de la promotion des droits de l’Homme un travail de Sisyphe.

 

A. B.

 

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TAVERNIER (Paul), “Les États arabes, l’O.N.U. et les droits de l'Homme”, Les Cahiers de l’Orient, n°19, 3ème trimestre 1992, pp. 183-197 [Etude reproduite dans : Conac (Gérard) et Amor (Abdelfattah) (dir.), Islam et droits de l'Homme, Paris : Economica, 1994, pp. 57-72.

 

L’auteur précise dès le début le contexte dans lequel il situe sa contribution: “On souligne souvent la contradiction - voire l’incompatibilité absolue - qui existerait entre la doctrine des droits de l’Homme, d’origine essentiellement laïque, issue de la philosophie des Lumières du XVIIIème siècle européen, et la doctrine islamique, d’essence purement religieuse, expression de la révélation divine faite au Prophète Mahomet, il y a quatorze siècles dans le Coran et dont les préceptes demeurent toujours valables. Certes, il s’agit d’un vaste débat, qui ne sera pas clos de sitôt. Toutefois, dans cette perspective, il peut être intéressant d’observer quelle a été l’attitude des États arabes vis à vis des textes adoptés au sein de l’Organisation des Nations-Unies en matière de droits de l’Homme”.

 

Cette étude est articulée en deux parties, dans la première l’auteur traite de l’attitude des États membres de la Ligue arabe avant et après l’adoption de la Déclaration universelle de 1948, la seconde porte sur  la position de ces pays à l’égard des Pactes de 1966. Entre ces deux dates constate l’auteur la position des États arabes a évolué dans le sens d’une plus grande ouverture.

 

Lors de l’adoption de la Déclaration universelle, la position des six États arabes membres à l’époque des Nations-Unies révélait une certaine diversité: quatre voix en faveur (Égypte, Irak, Liban et Syrie), une opposition (Arabie Saoudite) et une absence au vote (Yémen). Ces positions doivent être appréciées par rapport au contexte de l’époque. Si Paul Tavernier semble lier le vote positif de l’Égypte et du Liban à leur participation active à la rédaction de la Déclaration et celui de l’Arabie saoudite et du Yémen à des considérations religieuses, aucune raison n’est donnée quant à l’adhésion de l’Irak et de la Syrie dont il faudrait rechercher l’explication non seulement dans les options modernistes de ces deux pays, mais aussi dans leur caractère multiconfessionnel (Chrétiens, Juifs, Chi’ites et Allaouites coexistant avec une majorité Sunnite). C’est une explication tout aussi valables pour l’Égypte et le Liban.

 

Le fait qu’aucun vote négatif arabe n’ait été répertorié lors de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations-Unies des deux Pactes de 1966 s’expliquerait pour l’auteur par l’absence de toute référence à la religion contrairement à ce qui s’était fait dans la Déclaration de 1948. Mais, Paul Tavernier nous précise que la signature des Pactes ne signifie pas pour autant une adhésion aux mécanismes de contrôle révélant une “certaine méfiance de la part des États arabes, à l’égard des procédures de mise en oeuvre des deux pactes, et notamment du pacte relatif aux droits civils et politiques qui a le mérite d’avoir prévu la création d’un Comité des droits de l’Homme”, constatant toutefois que cette méfiance “est moins systématique que celle d’autres groupes d’États”.  Il est vrai que si l’adhésion de l’Algérie, de la Libye et de la Somalie au Protocole 1 du Pacte sur les droits civils et politiques (1989) fut significative à l’époque, la suite des événements a mis en exergue son coté paradoxal. Quant à la question des rapports l’auteur note les retards mis par la plupart des États arabes dans la remise de leurs rapports périodiques en notant toutefois que ces retards regrettables “ne sont pas l’apanage des États arabes”.

 

Les problèmes de mise en oeuvre des deux Pactes s’expliqueraient par la “difficile conciliation” entre les impératifs de la Chariaâ  et les normes universelles des droits de l’Homme. Ainsi, les États arabes ont fréquemment recours à des réserves ou des déclarations interprétatives pour limiter le champ d’application des normes onusiennes dans les domaines qui relèvent totalement ou partiellement de la loi islamique. Toutefois même dans ce domaine il n'y a pas une position unifiée des pays arabes, certains plus que d’autres insistant sur les prescriptions de la Chariaâ.  C’est une question complexe qui révèle l’absence de consensus parmi les juristes musulmans qui a pour conséquence on le voit de créer une situation complexe ou prévaut un double système de normes au champ d’application imprécis car investissant pratiquement toutes les branches du droit (civil, pénal, constitutionnel). Un travail de réforme doctrinal auquel a procédé par exemple l’Église catholique depuis le Concile Vatican II aurait certainement permis aux musulmans de solutionner ces contradictions et d’adapter l’Islam aux impératifs de la modernité, mais là s’ouvre un autre débat dans lequel l’auteur a évité de s’engager pour des raisons compréhensibles. Il n’en demeure pas moins que cette contribution revêt un intérêt certain pour ceux qui veulent mieux appréhender la variété des attitudes, et parfois la subtilité avec laquelle les États arabes se sont insérés dans une négociation à l’ONU, en faisant souvent preuve d’un esprit coopératif sur une question qui a priori les plaçait en porte à faux.

 

A. B.

 

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TIBI (Bassam), “Islamic Law/Shari’a, Human Rights, Universal Morality and International Relations” Human Rights Quarterly, vol.16, n°4, November 1994, pp. 277-299.

 

Pour l’auteur, qui situe son article dans une perspective de relations internationales plus que de droit, la valeur morale des droits de l’Homme représente un élément de convergence du système international capable d’éviter le conflit de civilisations (cher au Professeur Samuel Huntington et que recherchent les fondamentalistes musulmans (Muslim fundamentalists) et de voire naître une société internationale au sens où l’entendait Hedley Bull. Reconnaissant que les droits de l’Homme sont d’origine européenne et que les États occidentaux ont pu s’en servir comme d’une arme contre les pays du Tiers-Monde, M.. Tibi n’en considère pas pour autant que le concept même de droits de l’Homme doive être rejeté, puisque, tels que définis dans la Déclaration universelle de 1948 et les Pactes de 1966, ils ont une valeur transculturelle. A notre époque marquée à la fois par une mondialisation structurelle et une fragmentation culturelle, il est possible, et même indispensable, de rejeter l’hégémonie occidentale tout en acceptant les bienfaits de la modernité culturelle dont font partie les normes juridiques et les valeurs éthiques universelles des droits de l’Homme qui ne doivent pas être confondues avec la puissance politique de l’Occident. La Chariaâ étant incompatible avec les droits de l’Homme, les musulmans doivent entreprendre des accommodations modernistes de l’Islam., non en tant que foi mais en tant que système culturel et juridique, afin d’y établir les droits de l’individu et de se débarrasser du concept de devoirs (fara’id) vis-à-vis de La communauté (oumma). Réfutant la tendance culturaliste, M. Tibi avoue sa foi weberienne en la science occidentale moderne comme seule universellement valide et considère qu’on peut parfaitement juger l’Islam d’après les critères du monde moderne. Ce n’est qu’en abandonnant leur Weltanschauung  (expression utilisée par l’auteur en allemand dans le texte) prémoderne au profit d’une vision du monde individualiste (en puisant dans l’hellénisme musulman) que l’Islam pourra se concilier avec les droits de l’Homme en tant que norme commune de la société internationale.

 

Ph. G.

 

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WESTBROOK (David A.), “Islamic International Law and Public International Law : Separate Expressions of World Order”, Virginia Journal of International Law, vol.33, 1993, pp. 819-897.

 

Pour l’auteur, chercheur libre à l’Université catholique de Louvain, qui ne se considère pas comme un orientaliste (et critique l’approche du Pr Joseph Schacht, pp.891-893) mais s’affirme disciple du Pr. Frank Vogel d’Harvard, seul l’Islam peut fournir une vision du monde différente de la vision libérale qu’offre le droit international public. Il s’interroge sur le point de savoir si le droit international islamique et le droit international public peuvent dialoguer. Après une substantielle présentation de la littérature juridique islamique (pp.823-859), où il note que l’Islam distingue le monde de la guerre (dar al-harb) et le monde de l’Islam (dar al-Islam), mais oublie d’évoquer le monde de la conciliation (dar al-sulh), 

 

M. Westbrook considère qu’exceptés quelques grands principes (pacta sunt servanda, bonne foi, autodétermination), le droit islamique (plus précisément le siyar) et le droit international ne convergent que dans le droit de la guerre (jus ad bellum comme  jus in bello). En ce qui concerne le droit de la paix, les deux concepts sont inconciliables :  tandis que le droit international public, qui est une entreprise constitutionnelle d’essence laïque, ne tient pas compte de l’histoire mais chercherait à établir un avenir meilleur par la négociation et non par rapport à un ordre naturel, le droit islamique, profondément enraciné dans l’histoire, ne peut concevoir la paix qu’à travers le prisme du droit islamique lui-même et, ne connaissant pas de mythe constitutionnel, est incapable d’exprimer les préoccupations institutionnelles du droit international dans le vocabulaire de la Chariaâ. La structure du discours juridique islamique s’avère donc inadaptée à l’articulation du droit international public. Le fiqh et le droit international ne peuvent qu’entretenir un dialogue de sourds. Pour que le droit islamique puisse répondre aux questions soulevées par le droit international, il faudrait trouver dans le discours de l’Islam le moyen de traiter adéquatement de la légitimité et de l’autorité des institutions (notamment de la nation), d’envisager le droit comme un processus de mise en place d’un régime politique (polity) et de développer une théorie de l’autorité politique. Conscient de son manque de qualification pour entreprendre une telle réforme de la pensée islamique, M. Westbrook s’abstient alors de formuler des propositions en ce sens qui doivent émaner de juristes musulmans.

 

Ph. G.

 

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YACOUB (Joseph), Réécrire la Déclaration universelle des droits de l’Homme, Paris : Desclée de Brouwer, 1998, 108 p.

 

Ce petit ouvrage se veut résolument critique du discours ambiant sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme.  L’auteur, professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon fonde sa thèse sur l’idée que la Déclaration “onusienne” de 1948 “a la couleur de son temps (1945) et la saveur de l’espace qui l’a vu naître - l’Occident”. Il constate que “l’Occident a le don d’universaliser sa culture, de l’extraire de son milieu et d’en faire une grille de lecture formalisée des autres sociétés”.  En effet, nous précise-t-il de “par leur source, leur contenu et leurs bases, les droits de l’Homme sont un produit philosophique, conceptuel, juridique et politique, institutionnel et éthique de l’Occident”. On retrouve ici la thèse de l’approche culturaliste ou de la spécificité régionale qui ne voit dans l’universalisme qu’un paravent destiné à masquer l’occidentalisme.

 

Joseph Yacoub voit se dessiner une nouvelle dynamique de la problématique des droits de l’Homme face à l’émergence de nouveaux défis tels que le droit des peuples, des minorités et des peuples autochtones, le droit au développement et à l’environnement. Ces nouveaux défis sont révélateurs non seulement de la dimension communautaire de l’Homme mais aussi de l’indivisibilité et de l’interdépendance des droits de l’Homme “dans une diversité des cultures, une pluralité des civilisations et une relativité/universalité des valeurs”.

 

On ne peut qu’être convaincu par certains arguments sur les insuffisances structurelles du mécanisme international des droits de l’Homme qui a toujours des difficultés à concilier protection des individus et respect souveraineté des États - le premier impératif étant souvent sacrifié au profit du second - et surtout “n’a pratiquement pas de valeur exécutoire et est rédigé de manière à faciliter le consensus des pouvoirs politiques ”. Mais, dans son “culte” des droits “communautaires”, l’auteur ne risque-t-il pas de réduire les droits individuels à un résidu marginal. Car en définitive, c’est au niveau de l’individu qu’est vécu l’expérience des droits de l’Homme, loin des schéma abstraits et politisés que l’auteur lui-même dénonce. On objectera qu’enfermer les droits de l’Homme dans un cadre collectif, n’est-ce pas les rendre plus abstraits moins perceptibles, plus délocalisés ?

 

L’auteur apporte sa contribution en annexant un “projet de déclaration universelle des droits de l’Homme” censée concrétiser cette réécriture du texte de 1948 qu’il appelle de ses vœux. Cet essai qui se situe d’emblée à contre courant de la “pensée unique” a surtout le mérite d’animer le débat sur la Déclaration universelle de 1948 au moment ou l’on fête son 50ème anniversaire.

 

A. B.

 

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